Sifu : Kung-Fu, Cinéma et Sourcil Blanc, retour sur le précédent jeu de Sloclap
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Rédigé par Neomantis Dee
En attendant de chausser les crampons sur la pelouse de Rematch dès aujourd’hui, revenons sur le précédent projet du studio, Sifu, dont l’influence sur le jeu de football est notable . Un soft prônant l’apprentissage et la transmission, deux notions que l’on rattache facilement aux arts martiaux, particulièrement au kung-fu (les arts martiaux chinois). Si pratiquer sérieusement un style de combat reste la meilleure façon d’embrasser la philosophie et les valeurs qui lui sont propres, il existe néanmoins des manières détournées de les assimiler. À commencer par les œuvres s’en référant qui, chacune à leur manière, contribuent à diffuser un enseignement. À terme, cela peut nous inciter à nous investir corps et âmes envers un art martial, sinon à l’étudier et/ou à nous en inspirer au quotidien via les valeurs transmises. Sifu, le jeu développé par les équipes françaises de Sloclap, fait partie de ces relais de transmission. Un titre avant tout destiné aux amoureux d’arts martiaux ainsi qu’aux cinéphiles qui n’ont cessé de dévorer les films de kung-fu de la Shaw Brothers et de la Golden Harvest, entre autres filmographies. À ceux qui, de près ou de loin, sont sensibles au kung-fu et aux valeurs martiales s’y rattachant, Sifu s’adresse à vous.

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Considéré comme un hommage à Jackie Chan, les références dans Sifu (terme que l’on peut d’ailleurs traduire par « maître, enseignant ») vont pourtant plus loin que la filmographie du monsieur et du cinéma hongkongais. Car le jeu est aussi une véritable lettre d’amour au kung-fu, ainsi qu’au cinéma s’y référant (John Wick, Matrix, The Grandmaster, Old Boy, Lady Snowblood, etc.). Nous aurions pu penser que viser une telle niche de fans n’était pas viable, surtout en limitant les concessions d’accessibilité.
Néanmoins, 3 millions de ventes plus tard, Netflix pourrait produire un film adapté (les droits furent acquis en février 2025), et l’on espère qu’une suite officielle ou spirituelle chapeautée par la même équipe viendra pousser l’expérience encore plus loin tant le succès, commercial comme critique, ne fut pas volé. Nous avions déjà pu tester le jeu à sa sortie, mais du contenu supplémentaire fut ajouté gratuitement depuis (modificateurs pour modeler sa propre expérience, défis et vidéos), avec pour finalité de proposer un projet plus complet. En outre, nous vivons à une époque où, malheureusement, les expériences vécues sont trop vite oubliées. Nous laissons moins le temps aux œuvres de nous hanter, c’est pourquoi nous voulons reparler de Sifu.
Nous souhaitons remettre le jeu en lumière car avec un peu de recul, un constat se fait : Sloclap nous a pondu la plus fidèle œuvre martiale. Bien sûr, le débat est ouvert, d’autant plus si l’on met les jeux de sport de combat dans l’équation. Néanmoins, ces derniers ne puisent pas dans une essence précise, ou quand ils essaient le résultat ne convainc pas totalement, à la différence de Sifu justement. Les équipes françaises pouvaient se contenter de quelque chose de réaliste sans aller aussi loin dans la retranscription, tel un Sleeping Dogs dans une certaines mesure.
Au lieu de se contenter de cela, ou de proposer une épopée martiale à la Jade Empire, ils souhaitaient plutôt honorer les arts martiaux, le kung-fu précisément. Il n’est pas question de valeurs comme nous pouvons le voir sur un ring ou un tatami lors d’une compétition. Il s’agit là de l’essence profonde, de la personnalité et des valeurs qui régissent un art martial, un style martial. Des valeurs qui ne trouvent pas toujours place dans les compétitions publics. De nombreuses sources n’ont cessé de rappeler les tensions entre Shaolin et Bruce Lee, lorsque la popularité de ce dernier grimpa et qu’il enseigna le kung-fu, notamment à des occidentaux.
Au-delà de la question nationaliste, c’est aussi une question de philosophie, dirons-nous. Le caractère impulsif de Lee, connu pour aimer se battre même en pleine rue, n’était pas la meilleure vitrine pour le kung-fu et son histoire. Si la fiction empêche souvent de déceler le vrai du faux, pléthores d’oeuvres sur le sujet s’attache à véhiculer une imagerie précise, empreinte de codes, de valeurs morales et de philosophies de pensées. Malgré un recul manifeste depuis plusieurs décennies dans la société, les arts martiaux demeurent important en Chine, et par extension à Hong-Kong. Le kung-fu ressurgie toujours, d’une manière ou d’une autre.
Snow of Carnage
Au cinéma, quand Quentin Tarantino reprend le symbolique logo introductif et la musique signature de la Shaw Brothers (mythique studio de cinéma qui fit les beaux jours de l’industrie hongkongaise durant les années 70/80) pour Kill Bill, entre autres références plus ou moins subtiles, les connaisseurs de ce cinéma ne peuvent qu’apprécier l’hommage. De surcroît devant les qualités de l’œuvre et de la parfaite porte d’entrée qu’elle fut, et demeure encore, pour découvrir un pan de cinéma.
Le générique d’introduction de Sifu n’est pas aussi explicite que chez le cinéaste. Cependant, l’affiliation aux génériques de films de la SB est indéniable. L’occasion de découvrir les crédits du jeu, en même temps qu’un tutoriel avec les cibles à éliminer pour assouvir la vengeance du protagoniste. L’imagerie sur fond rouge convoque autant Shaolin Rescuers (1979) que The Kid With The Golden Arms (1979), tous deux réalisés par Chang Cheh. Sans parler de l’évidence même qu’est La 36ème Chambre de Shaolin (1978) réalisé par Liu Chia-liang (Lau Kar-Leung en cantonais).
Dans ces films, l’idée est de mettre en avant l’art martial représenté dans l’œuvre (celui pratiqué par le héros), particulièrement apparent dans la filmographie de Liu Chia-liang. En effet, ce dernier est un descendant de Shaolin, or, parmi les fondements de la mythique école, la persévérance et l’effort dominent. Ce sont via ces deux vecteurs qu’un pratiquant peut espérer emprunter le chemin de la perfection. Ce que le cinéaste s’efforcera de transmettre dans son œuvre, au risque d’entrer en conflit avec d’autres pratiquants.
Shaolin cultive cette philosophie martiale qui se différencie en partie de celle des arts martiaux japonais, par exemple. Au pays du Soleil levant, karaté comme judo s’orientent autour des notions de respects et d’honneur, plus que par une quelconque quête de perfection. Le film réalisé par Ching Siu-Tung, Duel to the Death (1984), illustre très bien ces deux philosophies, tout en mettant l’accent sur les valeurs similaires que l’on retrouve finalement dans tout art martial digne de ce nom. Sans aucune considération culturelle ou de nationalité.
Le jeu de Sloclap adapte une démarche similaire à celle des films susmentionnés. Ainsi, l’introduction nous dévoile les techniques du style martial au cœur de l’expérience, ainsi que les futurs ciblent et leur style de combat. Dans le cas présent, c’est le style Pak Mei (aussi orthographié Bak Mei) qui est fidèlement retranscrit. Un style martial particulièrement efficace en espace clos ou confronté à plusieurs ennemis, puisque mettant l’accent sur les coups vifs et puissants portés à courte distance.
Comme l’explique le chorégraphe du jeu, Benjamin Colussi, le style Pak Mei est une approche réaliste du combat. Plus que de nombreux autres arts martiaux (sans qu’il s’agisse d’un jugement de valeur). Un réalisme que l’on retrouve dans les films de Jackie Chan, quand bien même il n’est pas spécialiste du Pak Mei. C’est un adepte de styles du nord (Pak Mei étant du sud), à savoir le wing chun, notamment, que lui enseigna maître Yu Jim-Yuen à l’Opéra de Pékin. Jeu vidéo oblige, Sifu transmet beaucoup de chose au travers de son gameplay et des sensations qu’il nous procure.
Le crochet mortel de Shaolin
Le projet Sifu n’est pas le premier essai du studio français, mais le second. Leur premier jeu, Absolver (2017), se basait déjà sur les combats et les arts martiaux, mais pas nécessairement le kung-fu et avec un accent prononcé mis sur le multijoueur. Loin d’atteindre les qualités et le réalisme de notre sujet du jour, cette première réalisation apparaît comme une ébauche séduisante. Cela se ressent particulièrement sur le gameplay et la volonté de fluidité des développeurs déjà à l’œuvre. Parce que c’est bien de cela qu’il est question : la fluidité. Et le réalisme qui en découle.
Le concept tournait autour des chorégraphies qui devaient rappeler la danse et les arts martiaux, deux pratiques corporelles plus proches que l’on pourrait le croire de prime abord. Bruce Lee, JCVD, Prince Nasseem, pour ne citer qu’eux, on d’abord pratiqué la danse avant les arts martiaux. Tandis que Jackie Chan inspira malgré lui des mouvements hip-hop. Et que dire de l’élégance de Jet Li. Alors qu’Absolver demandait aux joueurs de bâtir leur propre moveset pour se construire un style personnel et à leur image, Sifu privilégie un art martial précis. Et impossible de s’en détourner, malgré des coups et compétences à débloquer à sa guise moyennant des ressources.
Sifu s’ancre dans la philosophie martiale propre au Pak Mei, comme nous le disions plus haut, et ne s’embarrasse pas d’un mode multijoueur afin de ne pas dévier de ses ambitions de gameplay. Notons la présence de Jordan Layani au poste de réalisateur sur les deux jeux, ce qui n’est pas anodin. Mais revenons rapidement sur le style de kung-fu hérité du sud de la Chine. Le style Pak Mei (Bak Mei) tire sa philosophie de préceptes taoïstes , comme de nombreux styles, s’orientant autour du concept yin yang, c’est-à-dire, en gros, l’équilibre des forces et des énergies.
Chose intéressante, selon les récits, le fondateur du style, dont il porte le nom comme souvent, est entré en conflit avec Shaolin (qui incarne souvent la paix et la neutralité) – des récits parlent d’un bannissement, d’autres d’une trahison de la part du maître Pak Mei. Quoi qu’il en soit, c’est un style né en marge de Shaolin. Un style réputé violent et imaginé par un esprit que l’on peut qualifier de rebelle et peu docile. Pak Mei, le maître, ferait également partie des cinq anciens de Shaolin qui auraient survécu à la destruction du monastère face à la dynastie des Qing (1644-1912). Ces grands noms seraient à l’origine de nombreux styles martiaux en Chine du Sud qu’ils auraient contribué à diffuser via leurs enseignements.
Le héros/héroïne dans Sifu n’est pas tant rebelle qu’animé par une sombre quête de vengeance (il faut dire que la caractérisation est à peine existante). Or, pour l’accomplir, avec la violence qu’une telle quête implique – la mort est possible, mais épargner l’ennemi également –, rien de tel qu’un style martial comme le Pak Mei dont la puissance et la capacité à tuer furent déjà prouvées. Notons que Pak Mei inspira fortement le personnage de Pai Mei joué par Gordon Liu dans Kill Bill. Tandis que la mariée, Beatrix Kiddo, interprétée par Uma Thurman, apprendra ce style martial dont elle usera elle aussi pour assouvir une vengeance personnelle. Elle aussi connaît ses ennemis et aura le choix de les épargner ou non, même si, en tant que film, le spectateur n’a aucun contrôle.
A Taste of Revenge
Comme pour tout art martial digne de ce nom, Sifu impose de la ténacité et d’apprendre à son rythme, au fil des victoires mais, surtout, des défaites qui vont nous accompagner. Imaginez un bonsaï qu’il faut constamment tailler et prendre soin. Vous êtes le banzai. Car chaque défaite vous rend physiquement et mentalement plus fort, à condition de réfléchir à ses erreurs et de se remettre en question. Venir à bout de la quête vengeresse ne se fera pas sans un minimum de maîtrise et d’investissement. Il faut pouvoir mériter ce pouvoir de vie et de mort sur autrui. A fortiori quand l’ennemi, les ennemis dans le cas présent, sont des maîtres en kung-fu. Pour les boss en tout cas.
Le menu fretin, bien que dangereux, n’est que pratiquant sans être maître. Ils sont la meilleure source d’apprentissage avant les tests d’aptitudes que sont les boss de niveaux. L’approche rogue lite n’est sans doute pas parfaite, mais elle trouve un sens dans l’expérience recherchée par Sifu. Celle de l’apprentissage martial. Comme l’a dit Bruce Lee : « Je ne crains pas l’homme qui a pratiqué 10 000 coups une fois, mais je crains l’homme qui a pratiqué un coup 10 000 fois. » L’approche ici est similaire.
Il faudra réitérer les runs et les combats jusqu’à une certaine maîtrise des niveaux, du rythme et de son personnage. Il faut retenir les coups et combos et développer sa mémoire musculaire au fur et à mesure. Sans omettre de prendre en compte l’environnement pour espérer en tirer avantage, à l’instar d’un Jackie Chan. Le réalisme de l’action implique d’appréhender les valeurs martiales, notamment la résilience et la sagesse. Cette dernière s’acquiert après des années dans notre monde réel, mais dans le cadre du jeu, cela se comptera en heures bien entendu.
Trouver l’équilibre entre attaque et défense est primordial : rester statique ou en mouvement, contrer et/ou esquiver. Il faut comprendre le rythme et s’adapter, avant de pouvoir appliquer le sien aux autres. En outre, le fait de vieillir, qui octroie davantage de puissance de frappe en échange d’une santé fragilisée, fait sens avec le parcours d’un artiste martial. Malgré la vivacité et la robustesse de la jeunesse, rien égale les expériences d’un combattant plus âgé. Vieillir c’est frappé plus fort, car le héros martial est censé gagner en expérience (via nous, les joueurs), frapper avec plus de précision, et mieux gérer ses coups et ses mouvements.
Dans un jeu qui demande une maîtrise totale des outils défensifs pour espérer survivre sur la durée, perdre en santé et gagner en puissance d’attaque apparaît plus comme une bénédiction qu’un malus. Sans parler des autels qui offrent des améliorations pour faciliter une run comme attendu dans un rogue lite/like. Par contre, les joueurs les moins à l’aise souffriront, puisque chacune de leur défaite leur donnera l’impression d’être moins fort. Le jeu est offensif, mais sans défense on ne va nulle part. Sifu n’est pas accueillant, c’est une évidence, les améliorations ne suffiront pas à vous sauver sans maîtrise du gameplay.
Jiao tou fa wei
Dans Sifu, même si l’on ne fait aucun effort pour questionner nos prestations et nos échecs, notre mémoire musculaire se développera, l’épreuve sera moins difficile et les répétitions finiront par amener la maîtrise. Ce qui était insurmontable les premières heures deviendra une formalité par la suite, et entrer en état de flow se fera plus aisément. Parce que nous avons là un projet pleinement abouti et renseigné. Ce qui ne veut pas dire sans défaut. Ne serait-ce que les défis qui manquent vite d’idées. Le gameplay aussi, dont la richesse atteint ses limites après plusieurs dizaines d’heures (en terme de découverte, le plaisir de l’action demeure et la courbe de progression satisfaisante). Sans parler de l’investissement.
Le titre de Sloclap est probablement la meilleure représentation vidéoludique des arts martiaux. La dynamique des combats, basée sur la garde et les esquives, ici d’une grande souplesse, est remarquable. Petite pensée pour la vidéo de gameplay concept délivrée par SEGA pour Virtua Fighter 6 qui n’est pas sans faire écho au système de combat de Sifu, il n’y a qu’à voir les esquives. Les studios japonais auraient-ils l’ambition de révolutionner une nouvelle fois les jeux de combat, cette fois-ci en s’inspirant du jeu français ? Peu probable. De surcroît depuis que l’on sait que la séquence en question s’approprie ouvertement la chorégraphie d’un combat dans le film Dragons Forever (1988). L’avenir se cache peut-être ici, dans cette liberté de mouvement et ce réalisme.
L’affrontement en question oppose Jackie Chan à Benny « The Jet » Urquidez, légende du Kick-boxing au visage singulier. Un choix qui vise le réalisme là-aussi. Tout cela pour dire que le soin apporté aux animations dans le soft de Sloclap, ce que l’on doit beaucoup à la présence du chorégraphe Benjamin Colussi. Comme mentionné plus tôt, l’homme est un maître du style Pak Mei qu’il a étudié en Chine, auprès d’un maître réputé, afin d’apprendre l’art authentique.
Dans le making-of du jeu, on découvre que Colussi n’a pas fait que chorégraphier les combats et réaliser les mocaps. Il a également partagé de nombreuses connaissances, qu’elles soient culturelles ou liées au style Pak Mei. Ainsi, certains détails apparents dans les décors sont de son fait. Il a été le garant d’une cohérence artistique et martial sur le projet. Nul doute que cette collaboration permit d’obtenir ce rendu authentique, et jouissif manette en mains. On pourra se plaindre de ne pas avoir encore plus de coups et d’interactions possibles avec le décors, mais nous voulons croire qu’une suite verra le jour et s’en chargera. Il reste de la marche de progression.
Ce n’est pas pour rien que l’œuvre s’est déjà retrouvé adapté par deux fois, sur du format court. Lors d’un court métrage promotionnel joliment chorégraphié. Et une seconde fois pour un épisode intitulé « Sifu : It Takes a Life », issu de la série animée anthologique Secret Level. Un bref épisode qui sert surtout à vendre le jeu en présentant le concept de résurrection, et en mettant en avant les valeurs martiales, ainsi que les combats finement chorégraphiés. Simple et efficace, tout en offrant une narration un poil plus ambitieuse avec un symbolisme bien venu et qui manque cruellement au jeu. En revanche, une chose est sûre, que ce soit en jeu ou via les adaptations, une telle expérience ne serait pas impactante sans un habillage sonore de qualité.
Whirlwind Kick
Toujours par souci de réalisme et d’authenticité, la bande-son fut laissée au talentueux Howie Lee, compositeur de musique électronique basée à Pékin. C’est à lui que l’on doit les musiques engageantes du jeu en mélangeant l’électronique à des sonorités chinoises traditionnelles pour un résultat remarquable. Les musiques se marient parfaitement aux ambiances des différents niveaux de l’aventure, avec la diversité attendue. Le tempo sait ralentir et varier pour appuyer une ambiance visuelle, pour nous apaiser et réguler notre souffle, et ce sans jamais nous lasser ou nous endormir.
Nous sommes à la fois détendus et en alerte. Quand il le faut. Et puis, les notes s’emballent, les sonorités se font plus vives et percutantes aux moments fatidiques, quand nous sommes pris dans une mêlée et que l’adrénaline se diffuse dans notre corps. C’est à croire que tout est fait pour nous amener dans une sorte de transe. Sifu, en tant que jeu, semble s’adresser à nous. On peut presque voir l’absence de travail narratif, ici réduit à sa plus simple fonction, comme une manière de ne pas trop caractériser le personnage (qui peut être un homme ou une femme au choix) afin d’en faire notre avatar, notre enveloppe charnelle et martiale.
C’est nous qui allons souffrir pour apprendre, qui allons devoir réitérer les épreuves jusqu’à ce que l’on passe ou que l’on atteigne un niveau de maîtrise que l’on estime satisfaisant pour nous. Au final, la quête vengeresse ne vaut rien dans l’expérience Sifu (pour nous, le jeu gagnerait à approfondir la narration à coup de symbolisme et d’expérimentation visuelle). Cependant, l’arrivée des défis prouve que toute la beauté du soft se trouvait là, dans ces nombreuses épreuves. Plusieurs dizaines de défis retors qui n’attendent que de tester nos compétences sur fond de références cinématographique. L’histoire n’était qu’un entraînement, maintenant il faut être capable de s’adapter à toutes les situations. Que l’on soit âgé de 22 ou 60 ans, que l’on soit armé ou non, bientôt… rien ne pourra nous arrêter.
Parce que dans Sifu, l’échec est une force. Un pouvoir même. Les heures passent, la nervosité diminue, et nous savons. Nous savons que dorénavant, toujours nous nous relèverons peu importe la montagne dressée devant nous. Il n’est aucunement question de vengeance, mais bien d’apprentissage. On joue à Sifu avant tout pour progresser. On joue à Sifu avec l’espoir d’être apte à emprunter le chemin de la perfection et le suivre sans jamais dévier. La destination, « perfection », n’est pas importante. Seul le voyage d’apprentissage compte. La quête du protagoniste n’est que prétexte, voire illusion, puisque le héros/l’héroïne, c’est nous.
Le studio Sloclap touche de près aux sensations procurées par un film d’arts martiaux. Il effleure la représentation sensorielle que l’on se fait de ses affrontements que l’on vit passivement, par simple regard et projection mentale. Les développeurs voulaient nous rendre actifs, nous mettre aux commandes pour simuler de réelles sensations, à l’instar de Rise to Honour qui mettait en scène Jet Li pour nous rapprocher de son cinéma et de son wushu traditionnelle. Et s’il reste de la marge de manœuvre pour un nouvel opus, les équipes françaises sont déjà parvenues à retranscrire des valeurs martiales, une essence aussi, avec respect et fidélité comme personne ne l’avait peut-être encore fait. Peu de jeu peuvent se vanter d’un tel réalisme. Et quoi de mieux pour enrober tout cela que de nombreuses références cinématographiques qui parleront à des individus passionnés qui, sans doute, attendaient un projet de cet acabit depuis des années.