Crown Gambit : Rencontre avec les créateurs de ce jeu narratif tactique au style visuel saisissant
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Rédigé par Quentin
A l’occasion de l’AG French Direct 2025, Crown Gambit a dévoilé un journal de développeur et de nouvelles images. Le deckbuilder narratif développé par Wild Wits Games sort en effet dans quelques semaines et en marge de ce nouvel aperçu, nous avons eu l’occasion de poser quelques questions aux développeurs, puis de jouer au titre durant quelques heures.

Wild Wits Games est un cas intéressant dans le paysage du jeu vidéo français. Ce studio indépendant basé à Rennes a sorti son tout premier titre en 2023 : Aetheris. Forts de cette première expérience, les développeurs reviennent cette année avec leur second projet : Crown Gambit. Il s’agit d’un jeu narratif mêlant combats de cartes tactiques, dans lequel vous guidez trois paladins à travers une capitale en proie au chaos et aux tensions politiques.
Nous avons ainsi pu nous entretenir avec Corto Laly, co-fondateur du studio Wild Wit Games et directeur créatif. Il se défini lui-même comme un superviseur qui intervient principalement durant les débuts de la conception et à la toute fin, tout en gardant un oeil sur le cours du développement. Il prend aussi en charge les tâches annexes en dehors du processus de création. « Tout ce que les gens n’ont pas envie de faire dans le jeu vidéo » (les finances, l’administratif, les partenariats commerciaux…).
Grosso modo je fais tout ce que les gens n’ont pas envie de faire généralement et à la base on pourrait dire que je suis le directeur créatif mais je trouve ça un peu pompeux parce que c’est plutôt l’équipe qui est la directrice créative du projet.
Il était accompagné de Gobert (de son vrai nom Antoine Tabouret-Loudeac), directeur artistique sur Crown Gambit qui enregistre ici son premier travail sur un jeu vidéo, bien qu’il ait déjà une solide expérience en tant qu’artiste. Un talent certain qui se remarque immédiatement lorsque l’on observe quelques images du jeu qui possède une direction artistique particulièrement soignée.
Je fais des illustrations médiévales à mon compte, c’est ce qui m’a fait connaître. A la base, je faisais du freelance, je fais aussi des missions pour des plus petits projets, des projets de jeux de rôle par exemple. Je n’ai rien fait de
cet ampleur là avant donc c’était mon premier contrat vraiment employé dans le jeu vidéo et non seulement en tant qu’artiste, mais en tant que directeur artistique.
La génèse et les coulisses du projet Crown Gambit
- Comment le studio a-t-il évolué depuis Aetheris, votre premier jeu, et quels enseignements avez-vous tirés de cette première expérience ?
Corto Laly : Quand on a fait Aetheris, il faut savoir que c’était vraiment un projet de débutants dans le jeu vidéo. Personne dans l’équipe n’avait d’expérience préalable. On a d’abord appris à fabriquer un jeu, tout simplement. C’était notre première vraie tentative, et franchement, on s’en est plutôt bien sortis pour un premier essai.
Le jeu était assez ambitieux pour un premier projet. Donc au final, ce n’est pas tant qu’on s’est demandé ce qu’on avait appris sur Aetheris, au-delà des bases de production ou de fabrication. C’était plutôt une réflexion sur ce qu’on avait envie d’apprendre à mieux faire dans un jeu. On a réalisé qu’on maîtrisait bien la 2D, c’était un premier constat. Et justement, on avait envie de commencer à explorer la 3D, à aller plus loin dans la mise en scène, et à accentuer la narration dans un univers.
- Quelle est la genèse de Crown Gambit ? D’où est venue l’idée du jeu ?
Corto Laly : C’est un peu comme ça que l’idée de base a commencé à prendre forme. Quand j’ai joué à Foretales, pour ceux qui connaissent. J’ai vraiment adoré. C’était une utilisation très maligne du mélange 2D et 3D, avec évidemment de la 2D à 80 % du temps. Moi, j’aime bien les jeux de cartes en général. Et j’avais en tête un univers un peu hybride que j’avais commencé à développer mentalement, parce que je suis un grand fan de Berserk, Game of Thrones, tous ces trucs-là. Je m’étais dit : un jeu de cartes narratif avec des chevaliers, ça pourrait être stylé, tout simplement.
Et l’idée de base croisait aussi un peu avec The Boys, parce que j’aimais bien ce côté sombre où les grandes stars, les personnes adulées par le commun des mortels, sont en réalité des êtres humains normaux, avec plein de travers et de défauts, qui sont même amplifiés par leur popularité. C’est un peu comme ça que je voyais l’univers au départ.
- Comme vous l’avez souligné, on sent évidemment une grosse influence du jeu Foretales, mais quelles autres œuvres (jeux, films, livres…) ont influencé la création de l’univers et des mécaniques de jeu ?
Corto Laly : Il y a aussi The Witcher :Thronebreaker, une inspiration très forte.
Gobert : Et forcément, un peu de Darkest Dungeon, ça se sent. De mon côté, j’ai apporté mes références artistiques. J’ai ramené une certaine « pâte » Mignola, qu’on retrouve dans pas mal de jeux vidéo aujourd’hui. Ce style sombre, avec des masses de noir très présentes. C’est aussi une référence assumée de Darkest Dungeon. Mignola, c’est l’auteur de Hellboy, au passage.
On est aussi partis sur des inspirations historiques françaises, avec de l’art classique médiéval ou renaissance. Ce sont des choses que j’utilisais déjà comme sources d’inspiration avant ce projet. Et bien sûr, on s’est appuyés sur ce que je savais faire, sur ce que j’avais déjà fait. C’était un projet « custom made » autour de mon style, d’une certaine façon, pour justement faciliter le travail et pouvoir lancer un univers rapidement, sans devoir passer par des centaines d’itérations de style.
- Etant donné ton parcours (Gobert) assez atypique, comment s’est déroulé ton passage en tant que freelance à celui de directeur artistique. Quels ont été les défis pour toi ?
Gobert : Un jour, tu passes ton temps à gratter les murs de ta grotte, et le lendemain, tu dois interagir avec toute une équipe. Évidemment, c’est très complexe. C’est plein de petits défis à relever, plein de choses à apprendre surtout. Honnêtement, je pense que j’ai appris plus en quelques mois à bosser sur ce projet que ce que j’aurais pu apprendre en trois ans de freelance, notamment sur la manière de travailler dans le jeu vidéo. Ça pousse très vite à la maturité, sur plein de sujets.
C’est un peu la sensation d’être lâché dans le grand bain. Et il faut apprendre à nager, sinon tu coules. D’ailleurs, ça s’est plutôt très bien passé. Je pense que c’est aussi parce que le contexte était bon, l’équipe est chouette. Et puis, on s’est retrouvés entre Bretons, donc je pense que ça a facilité les choses aussi.
Crown Gambit : une approche unique du jeu cartes et de la narration
- En quoi Crown Gambit se distingue-t-il des autres jeux du même genre ?
Gobert : C’est difficile de trouver des jeux qui soient exactement dans le même genre que Grand Gambit. Déjà, il se distingue parce qu’il occupe une niche un peu unique. Il est à la fois entre le jeu de cartes narratif -ce qui, en soi, n’est pas vraiment un genre, mais plutôt une mini-niche- et quelque chose qui se rapproche du tactical RPG.
Et même là-dedans, on reste très différents, parce que c’est un jeu très narratif, avec énormément de choix, d’embranchements… comme peu de jeux du genre tactical le proposent, je pense. Et dans sa présentation aussi, il a quelque chose d’assez unique. Ce n’est ni tout à fait un jeu de stratégie, ni tout à fait un jeu de cartes classique.
- Crown Gambit mêle une forte dimension narrative à des mécaniques de jeu de cartes. Comment s’équilibre ces deux éléments ?
Gobert : On essaie de créer un lien le plus fort possible entre les deux aspects. On a cette petite phase de narration où l’on parle, où l’on fait des choix, mais on est aussi amené à utiliser les cartes pour interagir avec le monde, le traverser, prendre des décisions qui permettent d’obtenir certaines récompenses, certains bonus. On a, par exemple, des petites phases de poursuite qui nous font interagir autrement avec l’environnement. Donc ce n’est pas strictement une alternance entre phase de combat et phase narrative. C’est une expérience un peu plus variée, en fait.
- Pouvez-vous nous en dire plus sur la construction des decks ? Est-on davantage dans la maîtrise d’archétypes prédéfinis, ou peut-on réellement expérimenter différentes combinaisons et faire du theorycraft ?
Corto Laly : C’est un mix des deux. Tu choisis les cartes que tu vas mettre dans ton deck, celles que tu vas débloquer. Il n’y a pas de drop aléatoire à la Slay the Spire, par exemple. Par contre, tu peux faire du theorycraft, parce que le jeu a deux particularités. L’une d’elles, c’est que quand tu bats des boss, tu peux récupérer leur pouvoir de relique et l’ajouter à ton deck. Tu peux donc intégrer les compétences de ceux que tu as affrontés, et là, tu peux vraiment theorycrafter pas mal de choses. Il y a beaucoup de boss, une trentaine, ce qui signifie potentiellement une trentaine de compétences à intégrer, en plus de celles que tu débloques via l’arbre de compétences.
Cet arbre te permet de débloquer de nouvelles cartes, mais celles-là, tu sais à l’avance que tu vas les obtenir. Donc c’est un mélange des deux approches : ce n’est pas un RPG classique où tu choisis chaque compétence une par une, mais ce n’est pas non plus un système totalement aléatoire. Il y a un côté hybride, parce que tu vas aussi « voler » ou récupérer les compétences de ceux que tu affrontes.
Gobert : Et c’est important de préciser que les embranchements narratifs changent aussi les boss que tu rencontres. Donc, fatalement, tes choix narratifs influencent les options que tu vas avoir ensuite. Et comme l’arbre de compétences dépend aussi de la manière dont tu construis ton personnage, il y a une combinatoire assez large.
- Crown Gambit offrira des choix des choix cornéliens où aucun compromis n’aboutira à un dénouement parfait, donc plusieurs chemins et fins possibles. Là où beaucoup de jeux narratifs proposent souvent une fin bonne, neutre ou mauvaise, avez-vous une intention particulière derrière cette approche ? Qu’avez-vous voulu transmettre à travers cette conception du choix et de ses conséquences ?
Gobert : C’est très important pour moi que le joueur n’ait pas l’impression d’avoir simplement pris une « mauvaise » fin. Même si toutes les fins ont potentiellement un aspect très négatif, j’ai toujours trouvé que, quand une fin est un peu considérée comme la « true good end », ça désamorce tout le reste. Finalement, les autres fins paraissent juste anecdotiques.
Donc oui, pour moi, c’était important qu’on puisse se dire, selon son point de vue, qu’il y a des fins qui sont meilleures que d’autres, malgré les tragédies qu’elles entraînent. Je pense que c’est ça qu’on a essayé de traduire : qu’il y a toujours un coût, toujours un sacrifice à faire, et qu’il faut choisir le moindre mal. Et on n’est même pas tous d’accord, au sein de l’équipe, sur ce que serait la « meilleure » fin.
Corto Laly : Un autre exemple auquel je pense souvent pour la narration de Crown Gambit, c’est Fear and Hunger. Il faut avoir joué au jeu et bien connaître son univers pour saisir la référence, mais c’est ce côté-là qu’on retrouve un peu chez nous. Dans Fear and Hunger, tu as quand même, je crois, une quinzaine de fins différentes, voire plus, avec des niveaux de lecture complètement différents. Et je trouve qu’on flirte pas mal avec ça aussi.
Gobert : Même s’il faut préciser qu’on est quand même moins gore. C’est toujours bon de le rappeler, parce qu’il y a des choses très, très dures dans Fear and Hunger.
- Le jeu sortira le 18 juin 2025 sur PC et Mac. Avez-vous des plans pour le porter sur d’autres plateformes à l’avenir ?
Corto Laly : Une sortie sur Switch, c’est fortement probable. Pour le reste, ce sera en fonction du succès. Malheureusement, ou plutôt, typiquement, dans le jeu vidéo indé, le temps, c’est de l’argent, et l’argent, ce n’est pas ce qui coule à flot. J’espère de tout cœur que le jeu trouvera son public et qu’on pourra le faire connaître au plus grand nombre. Mais ce qu’il faut savoir, c’est qu’au-delà du portage, ce qui coûte le plus cher pour Crown Gambit, c’est la traduction. On a 260 000 mots dans le jeu, ce qui correspond à peu près à la moitié de la trilogie du Seigneur des Anneaux.
On pourrait même en faire un roman, juste pour s’amuser. Et ça, ça coûte très, très cher. Donc, le tout premier objectif après la sortie, ce serait de réussir à traduire le jeu dans plusieurs autres langues, au-delà de celles disponibles dès le lancement.
- Avez-vous une anecdote particulière concernant le développement de Crown Gambit ?
Corto Laly : Je suis un peu salé… On avait enregistré une musique dans une église à Rennes, c’était vraiment une super captation. Toutes les musiques du jeu sont faites avec mon ancienne voisine, une chanteuse d’opéra ukrainienne, et elles sont vraiment trop cool dans Crown Gambit.
Pour le festival, on avait fait cette captation dans l’église, mais mon associé François était à « ça » qu’on le fasse au Mont-Saint-Michel. Ça aurait été trop stylé avec un drone, sauf qu’on nous a dit non. Apparemment, l’univers du jeu était trop sombre et ça ne correspondait pas aux valeurs du site.
Je ne déconne pas : la semaine suivante, je tombe sur Walking Dead France, et toutes les scènes se passent dans le Mont-Saint-Michel, avec des zombies dans le monastère ! J’étais en mode : « OK, donc ça veut dire qu’ils ont reconstitué le Mont-Saint-Michel en studio ? » Et on me répond : « Non, non, ils ont carrément privatisé le Mont-Saint-Michel. » Apparemment, Walking Dead, c’est moins trash que nous…
On remercie Corto et Gobert d’avoir répondu à nos questions.
On rappelle que Crown Gambit sortira le 18 juin prochain sur PC via Steam. Une démo est disponible si vous souhaitez avoir un aperçu. De notre côté, une preview sortira très bientôt avant notre test complet attendu aux alentours de la date de sortie.