Silent Hill f : notre interview avec Motoi Okamoto (producteur) et Al Yang (directeur) entre beauté et terreur, les coulisses d’un nouvel opus marquant
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Rédigé par Quentin
En marge de notre preview de Silent Hill f durant la Gamescom 2025, nous avons eu l’occasion d’échanger avec Motoi Okamoto, producteur de la série Silent Hill, et Al Yang, directeur du jeu chez NeoBards Entertainment. Ensemble, nous sommes revenus sur les coulisses de la création du jeu, son symbolisme, l’incarnation de la jeune héroïne, et bien sûr, la partie action qui a tant fait réagir.

L’interview a eu lieu après environ trois heures de jeu (sur une session totale de quatre heures). Nous étions notamment curieux de comprendre ce que Konami et le studio NeoBards souhaitent faire vivre aux joueurs à travers ce cadre japonais des années 60, ainsi que la manière dont ils ont façonné cette ambiance si singulière, qui nous avait déjà séduits manette en main.
Un changement de cadre qui étonnant pour la série
- Vous avez exprimé le souhait de restaurer l’essence de l’horreur à la japonaise. Comment cela se traduit-il concrètement dans Silent Hill f ?
Motoi Okamoto : Je pense que le travail de Ryukishi07 sur le scénario a été remarquable pour retranscrire les éléments psychologiques liés à l’horreur. De son côté, Kera a proposé des créations artistiques particulièrement marquantes pour les monstres. Ensemble, leurs contributions nous ont permis de donner naissance à une atmosphère où la terreur et la beauté coexistent, ce qui, selon moi, est au cœur même de l’horreur japonaise. A savoir, cette juxtaposition entre l’élégance et le macabre. Grâce à ces efforts, nous pensons avoir réussi à capturer cette essence et nous sommes très confiants quant à la façon dont elle s’exprime dans Silent Hill f.
- La « beauté dans la terreur » est justement lié à ma deuxième question. Ce leitmotiv est central dans votre communication. Comment ce contraste entre beauté et horreur se manifeste-t-il dans le jeu ?
Motoi Okamoto : L’un des exemples les plus évidents se trouve dans le motif floral du jeu. On y voit ces fleurs rouges et cette végétation envahir et corrompre peu à peu le paysage. C’est un phénomène inquiétant, presque monstrueux, mais exprimé à travers quelque chose d’aussi beau et délicat que des fleurs. Ce contraste illustre parfaitement la superposition de l’élégance et de la terreur, qui est l’un des thèmes centraux du jeu.
Un autre aspect essentiel concerne la répression vue à travers une perspective féminine. Nous avons voulu explorer ce paradoxe : d’un côté, les femmes sont contraintes et opprimées, de l’autre, on attend d’elles qu’elles incarnent la beauté. Dans Silent Hill f, cette beauté n’est jamais gratuite : elle a un prix, celui de la contrainte, de l’obligation à être ou à agir contre sa volonté. C’est précisément dans cette tension que s’inscrit le rapport entre beauté et horreur que nous cherchons à mettre en avant.
- Silent Hill f se déroule dans le Japon des années 60. Pourquoi avoir choisi cette période précise, et comment ses réalités sociales se reflètent-elles dans le jeu ?
Motoi Okamoto : Il y a plusieurs raisons à ce choix. Cela rejoint ce que nous évoquions précédemment. Les années 60 au Japon sont une période où les femmes étaient encore fortement soumises à la répression, mais où commençaient aussi à émerger les premiers mouvements pour les droits des femmes. Ce contraste historique est directement lié au cœur du récit de Silent Hill f, puisque l’un des thèmes centraux du jeu est justement la manière dont les femmes tentent de résister à cette oppression.
Al Yang : Nous avons également choisi cette époque parce qu’elle possède une aura particulière. Les années 60 sont assez récentes pour rester modernes et familières. On y retrouve des éléments que tout le monde reconnaît, comme les téléphones fixes, des voitures ou certains lieux emblématiques, mais les années 60 sont aussi suffisamment éloignées pour paraître mystérieuses, presque mystiques. C’est ce décalage qui crée ce que nous aimons appeler une impression de « familier mais étranger ».
Pour donner un exemple : tout le monde connaît le concept d’une école, mais une école japonaise a ses propres spécificités culturelles qui déstabilisent légèrement un joueur étranger. En plaçant Silent Hill f dans un Japon rural des années 60, nous ajoutons une couche supplémentaire à ce sentiment : non seulement il s’agit d’un cadre culturel peu familier, mais aussi d’une époque éloignée du quotidien des joueurs d’aujourd’hui. Cette combinaison renforce l’atmosphère unique du jeu.
- Le cadre d’Ebisugaoka s’inspire du village de Kanayama. Quelles recherches ou matériaux réels ont nourri la création de ce décor ?
Motoi Okamoto : Nous avons eu recours à une très grande variété de sources et de références. Le studio japonais Shirogumi, qui s’est chargé du trailer, a par exemple consulté une quantité impressionnante de documents historiques, notamment des piles entières de livres, et a partagé ces recherches avec nos équipes chez Konami ainsi qu’avec celles de Neobards. Ces matériaux n’ont pas seulement servi pour la bande-annonce, mais aussi pour le développement du jeu afin de garantir l’authenticité du décor et des éléments que l’on y retrouve.
En parallèle, nous avons également envoyé des équipes sur place, à Kanayama ainsi que dans des sanctuaires traditionnels, pour capter l’ambiance réelle de ces lieux. Cela passait par de la documentation vidéo, mais aussi par des enregistrements sonores d’ambiances, qui nous ont ensuite servi de base pour recréer fidèlement l’atmosphère du Japon des années 60.
Enfin, pour renforcer ce souci d’authenticité, nous avons collecté de véritables objets d’époque. Par exemple, certaines boîtes de médicaments présentes dans le jeu sont directement inspirées de modèles réels que l’équipe a retrouvés dans des marchés aux puces, en chinant des pièces datant de l’ère Shōwa, vers 1966. Ces objets ont ensuite servi de référence pour modéliser les accessoires du jeu.
Une partie action plus présente
- Ryukishi07 voulait un protagoniste plus actif, qui prend ses décisions. Comment avez-vous équilibré cette volonté avec les contraintes du survival-horror ?
Motoi Okamoto : Cela rejoint l’idée de la répression féminine : notre héroïne, Hinako, est un personnage qui ressent une forte pression et vit cette répression au quotidien. Cela se manifeste dès la séquence d’ouverture, où l’on découvre ses conflits avec ses parents, mais aussi à travers le World Building du jeu. Ce n’est pas seulement un problème intime ou familial : son environnement tout entier est envahi et corrompu par une force étrangère, incarnée par ces fleurs et cette végétation rouge qui dévorent le paysage.
Al Yang : Un autre élément important est lié aux monstres. Dans Silent Hill, les créatures ont toujours représenté une manifestation des traumatismes et des peurs du protagoniste. Ici encore, Hinako est confrontée directement à ses angoisses et doit les affronter. Mais son combat reste celui d’une personne en lutte, pas d’une héroïne toute-puissante. Même si le jeu contient des phases d’action, nous tenions à ce que le joueur ressente la difficulté et le poids de chaque affrontement.
C’est un principe fondamental des jeux d’horreur : donner au joueur la possibilité de choisir entre affronter ou éviter un danger, en fonction de ses ressources et de sa force du moment. C’est aussi une manière de rester fidèle à l’identité de Silent Hill. Proposer des combats, certes, mais qui traduisent avant tout une lutte, un effort constant, et non une démonstration de puissance.
- Certains fans craignent que l’ajout d’action nuise à l’ambiance de Silent Hill. Comment répondez-vous à cette inquiétude ?
Al Yang : Concernant l’action dans le jeu, nous recommandons d’abord aux joueurs de découvrir Silent Hill f en mode histoire. Cela leur permettra de profiter pleinement de l’équilibre que nous avons voulu créer entre l’horreur et l’action, et de vivre une expérience plus proche de l’essence traditionnelle de la série. Les fans peuvent être rassurés : même avec ces ajouts, l’atmosphère authentique qu’ils attendent de Silent Hill est bel et bien préservée.
Il ne faut pas oublier que les anciens Silent Hill, comme beaucoup de jeux d’horreur classiques, comportaient déjà une part importante de combats. La différence avec un pur jeu d’action réside surtout dans le rythme. Dans un jeu d’action classique, on enchaîne des esquives, des coups critiques, des enchaînements rapides… Ici, ce n’est pas le cas : le personnage n’est pas surhumain, il n’esquive pas vingt fois de suite et ne peut pas éliminer un ennemi d’un seul coup.
Dans Silent Hill f, le combat reste volontairement lent, pesant, et c’est précisément ce tempo qui génère la tension. C’est cette approche qui nous permet de rester dans le registre du survival horror, et non de basculer vers un simple jeu d’action.
Nous remercions Motoi Okamoto et Al Yang d’avoir bien voulu répondre à nos questions. Pour rappel, Silent Hill f débarquera le 25 septembre sur PC (via Steam, Epic Games Store et Microsoft Store), PS5 et Xbox Series.