Le film Superman relance DC au cinéma… mais où sont passés les jeux DC ?
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Rédigé par Jordan
Les fans de l’Homme d’Acier n’ont certainement pas manqué le rendez-vous. Superman est de retour sur grand écran sous la houlette de James Gunn, posant les bases d’un nouvel univers étendu qui a pour but de s’étaler sur au moins une décennie. Pour fêter ce grand retour après des années difficiles au cinéma, marquées par un DCEU (DC Extended Universe) agonisant pendant trop longtemps, Warner déroule le tapis rouge à la marque DC sur plusieurs canaux, dont des réductions sur plusieurs jeux DC via Steam. Et c’est en s’intéressant à ces promotions qu’un terrible constat saute aux yeux : les jeux DC ne se résument plus qu’à une poignée de titres. L’occasion de faire un état des lieux sur ce qu’il se passe autour des jeux DC en ce moment chez Warner Bros.

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Faites de même et ouvrez la page des promotions de jeux DC sur Steam. Comme nous, vous y verrez l’illustration de l’échec de Warner Bros Games, dont la lente descente aux enfers n’est pas encore terminée. En quinze ans, l’éditeur aura été incapable de produire quoique ce soit d’autre que des jeux Batman et des crossovers qui ne parviennent pas à cacher l’immense gâchis auquel on a pu assister. Une histoire qui n’est pas sans rappeler celle de la marque au cinéma.
Il est intéressant de voir que les films et les jeux DC ont partagé un destin relativement similaire durant ces dernières années. Au tout début des années 2010, Warner Bros était sur le toit du monde avec sa marque DC, qui cartonnait au cinéma avec l’excellente trilogie The Dark Knight et qui s’apprêtait à concurrencer Marvel et son MCU avec son propre univers étendu, démarré avec Man of Steel. Du côté de la division jeu vidéo du groupe, on suivait quelque peu l’exemple du ton sombre abordé par ces films avec l’arrivée d’Injustice: Gods Among Us et de son Superman dictateur, devenant un deuxième pilier pour NetherRealm Studios avec Mortal Kombat.
Batman était quant à lui devenu l’exemple à suivre pour les jeux de super-héros, avec Batman Arkham Asylum et sa suite Batman Arkham City. Même DC Universe Online avait su se faire une place au royaume des MMO. Rien ne résistait à DC, en dehors de rares échecs peu problématiques comme le jeu adapté du film Green Lantern (qui n’avait aucune chance de s’en sortir vu le matériau de base) ou Gotham City Impostors, dont le concept ne plaisait à personne.
Et puis, la chute. Pas pour mieux se relever, du moins pas pour le moment. Au cinéma, l’univers DCEU s’est effondré dès la sortie de Justice League (certains diront que son sort était déjà scellé avec Batman vs Superman), film qui aura annoncé la lente mort de cet univers à peine créé. Certains longs-métrages auront su convaincre les critiques, à l’image de The Suicide Squad (celui de James Gunn, pas l’ignoble version de David Ayer), d’autres auront même été des succès commerciaux, comme Aquaman qui aura dépassé le milliard de dollars au box-office, mais l’absence de cap clair sur la suite montrait que tout allait dans le mur. L’heure du reboot avait sonné.
La Tour de Babel
Pendant ce temps, chez Warner Bros Games, les choses n’allaient pas mieux. Après Batman Arkham Knight qui a mis fin à la trilogie (ou plutôt quadrilogie) Batman Arkham, l’éditeur n’avait pas de vision sur son avenir. Injustice 2 est certes venu remplir les caisses, mais l’univers DC avait bien plus de choses à offrir que cela. Ce n’est cependant pas avec un Rocksteady coincé aux fourneaux de Suicide Squad: Kill the Justice League que la marque DC pouvait briller à nouveau dans ce secteur. Même lorsqu’elle n’est pas seule, comme dans le crossover géant qu’était MultiVersus, elle n’était pas assez puissante pour sauver le jeu du naufrage dans lequel First Player Games s’était mis.
De son côté, Warner Bros Games Montréal a lutté pour trouver sa voie. Durant des années, le studio derrière le sous-estimé Batman Arkham Origins n’a pas pu aller au bout de ses idées, avec un projet de jeu Constantine mis à la poubelle pour la simple raison que le personnage en lui-même n’était pas assez bankable selon les informations obtenues par Bloomberg. En quête d’un gros nom, l’équipe montréalaise s’est alors tournée vers Flash, jusqu’à ce que le long-métrage de ce dernier se plante au box-office. Comme si cela était une condition sine qua non pour sortir un jeu, et signe supplémentaire que le destin des films était étroitement lié à celui des jeux.
Warner Bros Montréal a donc donné vie au très moyen et au très métaphorique Gotham Knights, jeu dans lequel on incarne les membres de la Bat-Family en deuil après la perte de Batman, miroir du studio qui n’arrivait pas à prendre la relève de la formule Batman Arkham. Un échec qui annonçait celui de Suicide Squad: Kill the Justice League, dont la mort de la Justice League faisait involontairement écho à celle des jeux DC.

Warner Bros Games est au plus mal, avec des jeux Flash et Constantine abandonnés et un jeu Game of Thrones étudié
Et… c’est vraiment tout ? Peut-on véritablement limiter la dernière décennie à ces titres que l’on peut compter sur le doigt d’une main ? Fort heureusement non, à condition d’aller chercher un autre type de public. Plusieurs jeux estampillés DC destinés à un public familial ont vu le jour ces dernières années, de DC Super Hero Girls: Teen Power à DC’s Justice League : Chaos Cosmique, en passant par les jeux LEGO DC. Des jeux peu coûteux à produire, dont le développement est souvent confié à un partenaire, pour une rentabilité plus aisée et moins de risques d’échec.
Forever Evil
Une stratégie qui ne fonctionne pas réellement pour le petit monde des jeux AAA. Comme au cinéma, et même dans les comics où c’est monnaie courante, faire table rase semblait nécessaire pour le groupe mené par David Zaslav. Ce dernier étant un homme d’affaires peu attaché à la notion d’art, il a sans surprise été le fossoyeur de nombreux projets, aussi bien au cinéma que dans la division jeu vidéo. Pendant que le film Batgirl n’avait même pas le droit d’aller à la table de montage, le jeu Wonder Woman de Monolith Productions a été rangé au placard, après avoir déjà été rebooté une première fois.
Là encore, difficile de ne pas faire le lien entre ce projet et la mort de la version de Wonder Woman sur grand écran, portée par Gal Gadot, quand bien même les échecs liés au développement du jeu sont avant tout à aller chercher chez les décisionnaires de Warner Bros Games, David Haddad en tête. Si Zaslav est le fossoyeur de la marque DC, Haddad en est certainement le faucheur. L’enquête publiée par Bloomberg suite à l’annulation de Wonder Woman pointait du doigt l’ex-dirigeant de la division jeu vidéo de Warner Bros, dont la présidence a laissé plusieurs studios dans le flou durant des années.
Et maintenant, où aller ? Warner Bros Games enchaîne les restructurations, avec des licenciements en pagaille et la division d’une société mère qui pourrait lui coûter cher. Aux dernières nouvelles, la division jeu vidéo serait placée dans l’entité Streaming and Studios, la moitié de ce qui devrait rester de Warner Bros Discovery lorsque la séparation entre Warner Bros et Discovery sera effective, seulement trois ans après leur fusion.
Zaslav reste au sommet de la chaine alimentaire, mais ce sont Yves Lachance (Warner Bros Games Montréal), Shaun Himmerick (NetherRealm Studio) et Steven Flenory qui prennent en charge les studios de Warner Bros Games, sous la présidence de J.B. Perrette. Un remaniement qui fait écho à celui de la division DC Studio, lorsque Walter Hamada a été remplacé au pied levé par James Gunn et Peter Safran pour gérer les futurs films de la marque, avec pour objectif de relancer tout un univers cinématographique (qui débute aujourd’hui avec Superman). Que ce soit pour le cinéma ou le jeu vidéo, la direction de ces divisions est devenue plurielle au lieu d’être concentrée sur une seule personne, afin d’éviter le manque de communication d’autrefois.
Pour autant, la vision n’est pas plus claire qu’auparavant. En l’état, on ne sait rien des futurs jeux DC hormis un plus qu’hypothétique jeu Batman par Rocksteady, qui a déjà effectué ses retrouvailles avec le Chevalier Noir grâce à Batman Arkham VR. Depuis que le duo Warner Bros Games Montréal et Monolith Productions est orphelin du projet Wonder Woman, qui sait sur quoi le studio montréalais planche. La fin du support de Mortal Kombat 1 laisse aussi présager que NetherRealm se tourner désormais vers un Injustice 3, que l’on espérait avant même la sortie de ce dernier Mortal Kombat. On en revient presque au même point qu’au milieu des années 2010, après une décennie qui aura tourné à vide. Retour à une stratégie sans risque, à l’image de ce que le groupe produit sur le marché des jeux mobiles, qui n’accouche que d’expériences de piètre qualité. Entre des gachas ressuscités (DC Worlds Collide) pour surfer sur la sortie de Superman et des jeux dont les navrantes publicités (DC Dark Legion) donneraient presque des idées à Hero Wars, on est loin de ce que l’écurie d’en face peut produire.
Faut-il justement que DC prenne exemple sur Marvel ? La Maison des Idées a pourtant elle aussi connu un parcours compliqué dans l’industrie du jeu vidéo. Derrière le succès colossal d’un Marvel’s Spider-Man se cache également l’échec abyssal d’un Marvel’s Avengers. Malgré tout, la balance semble ici plus équilibrée. Et c’est peut-être dans la manière de fonctionner de Marvel que DC pourrait trouver son salut. Contrairement à Warner Bros qui extériorise peu ses licences en dehors de jeux familiaux ou mobiles, Marvel ne produit presque rien lui-même.
Marvel Games n’est pas une entité liée au développement, elle se contente d’éditer les productions de studios partenaires, lui permettant ainsi une force de proposition plus riche avec des projets très différents les uns des autres (Marvel Rivals, Marvel Tokon…). Chose que Warner refuse de faire lorsqu’il est question de produire un jeu console DC, en dehors d’un Batman: The Telltale Series. L’amenant ainsi à se cantonner à certains genres, en raison de studios spécialisés dans le domaine. Difficile de demander à NetherRealm de s’écarter du moule des jeux de combat, tout comme Warner Bros Games Montréal ne s’éloigne pas de la formule action-aventure. Après l’exemple de Rocksteady qui est allé expérimenter du jeu service sur Suicide Squad, on comprend pourquoi les lignes ne peuvent pas vraiment bouger sans aller s’adresser à un partenaire externe.
Crise d’identité
Si la sous-traitance est une piste qui a déjà été explorée, Warner Bros pourrait emprunter un chemin encore plus problématique que par le passé. Le DCU de James Gunn et Peter Safran ne vise pas que le cinéma et se veut être un univers interconnecté s’étalant sur plusieurs canaux, dont celui du jeu vidéo. Une idée qui en fait frémir plus d’un et qui nous renvoie à une époque où les jeux de super-héros n’existaient qu’à travers le prisme des adaptations de films. La vision de James Gunn, cependant, est moins archaïque qu’on ne pourrait le penser, quand bien même elle reste floue encore aujourd’hui (propos tirés du site officiel DC, tenus en février 2023) :
« Ce n’est pas comme si nous allions faire sortir le film Superman et sortir un jeu Superman en même temps. C’est plus comme si nous sortons d’abord le film Superman, puis peut-être deux ans plus tard, nous avons le film Supergirl qui sort. Et alors, quelle est l’histoire entre les deux ? Y a-t-il un jeu Krypto auquel nous pouvons jouer qui se situe entre eux ? Quelque chose qui se déroule toujours dans le monde avec ces personnages, mais qui a sa propre histoire. Nous voulons donner l’importance aux jeux qu’ils méritent. »
Le réalisateur de Superman a également évoqué le fait que tous les jeux DC n’ont pas forcément pour but de coller à ce cahier des charges. Il est en effet difficile d’imaginer que le prochain jeu Batman de Rocksteady ait un quelconque lien avec le DCU, étant donné que cet univers n’a même pas encore trouvé son Batman. James Gunn n’est pas complétement étranger à cette industrie (on lui doit notamment l’écriture de Lollipop Chainsaw) et connait bien les risques. Développer un jeu demande nettement plus de temps que de tourner un film. En quatre ou cinq ans, ce qui est aujourd’hui la durée moyenne de développement pour un projet AAA, l’univers cinématographique peut être complétement chamboulé, demandant ainsi au jeu de s’adapter à cette nouvelle voie. Ce qui ne se fait pas en un claquement de doigts.
Gunn le sait sans doute, et ses propos sur les jeux DC témoignent soit d’une forme de candeur, soit de l’écho d’une directive susurrée à l’oreille à Zaslav et Haddad, même si ce dernier est aujourd’hui parti avec son parachute doré. Avec la nouvelle organisation qui prend forme chez DC, on imagine de toute façon assez mal que Gunn aura le pouvoir de vie ou de mort sur certains projets.
Peut-être que repartir sur un jeu Batman chez Rocksteady est finalement la meilleure issue possible. L’idée manque assurément de panache et d’originalité dans un univers aussi vaste que celui de DC. D’autant plus que le Rocksteady d’aujourd’hui n’est plus celui du début des années 2010. Sefton Hill et Jamie Walker, co-fondateurs du studio, n’en font plus partie depuis un moment, le duo ayant décidé d’aller retenter une nouvelle aventure sous la bannière de Hundred Star Games. L’échec du jeu Suicide Squad a également coûté cher au studio, qui a perdu plusieurs de ses membres. Croire en l’avenir de ce projet, et envers les jeux DC tout court, est donc un bel exercice de foi aujourd’hui. Mais c’est tout ce qu’on a, et à l’instar de ce qu’insuffle le film Superman, un peu d’espoir ne fait de mal.
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