L’Âge de la Folie – Un soupçon de haine : Présentation et avis sur le roman de Bragelonne
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Rédigé par Ludvig Auvens
A l’évocation du nom de Joe Abercrombie, les plus fidèles d’entre vous à cette rubrique sauront rapidement de quoi nous allons parler ici. En effet, après une présentation des trois tomes de La Mer Éclatée, nous allons nous plonger dans sa nouvelle série de romans : L’Âge de la Folie, avec son premier tome intitulé Un soupçon de haine.
Proposé en français par Bragelonne, cette nouvelle trilogie se déroule 15 ans après les événements du Pays Rouge, dans l’univers de la Première Loi. Cela sous-entend donc que nous nous trouvons 28 années après la fin du Dernier Combat. Un retour dans un univers déjà connu des amateurs du style du romancier anglais qui ne fait pas de mal.
Avant de vous lancer dans la lecture de cette présentation et de mon avis après lecture, sachez que ce premier tome peut être lu sans avoir parcouru les autres ouvrages. Notez cependant que quelques subtilités du lore pourraient néanmoins vous échapper. A contrario, ne pas avoir lu les autres romans liés à cette nouvelle série vous permettra quelques surprises, ce qui ne fait évidemment pas de mal. A vous de voir donc si vous préférez tout comprendre mais gâcher un peu de surprise ou être surpris au détriment d’une compréhension complète de l’univers.
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La première chose que l’on peut pointer du doigt, c’est le lien étroit qui lie cette « suite » à ses prédécesseurs. En effet, on retrouve une véritable évolution entre La Première Loi et L’Âge de la Folie. Un peu à la manière de notre monde, les années d’entre deux ont mené à de grandes révolutions, tant sociétales que technologiques. Mais cette évolution se ressent aussi dans ce que nous sert Abercrombie. Plus de violence, plus de moments matures (comprenez-y ce que vous voulez), mais en même temps moins de dialogues (ça doit vous aider à comprendre matures, non ?) et un humour dès lors plus effacé.
Ce premier postulat mis à jour, nous pouvons continuer. Nous retrouvons donc certains descendants des personnages de la précédente série, ainsi que des personnages eux-mêmes déjà présents à l’époque (l’avantage d’avoir quelques années d’écart seulement). Bref, voyons donc ce que ce nouveau roman du très apprécié Joe nous réserve.
L’Âge de la Folie – Un soupçon de haine nous plonge donc dans une histoire prenant place 28 ans après l’intronisation de Jezal. L’empire Gurkhein n’est plus que poussières et livré à des guerres de successions intestines, mettant la population dans la misère et les forçant à trouver un nouveau refuge. L’immigration, l’occasion en or pour l’auteur de nous parler d’une thématique malheureusement d’actualité : le racisme. L’Union ressort de trois conflits violents et inutiles, alors que le Vieil Empire retrouve du poil de la bête et compte bien titiller l’Union en son for intérieur. Dans le nord, Calder et Scale, déjà connus des lecteurs vétérans, sont au pouvoir.
Sur le plan social et économique, Joe Abercrombie nous sert un somptueux rappel de ce qu’a donné la révolution industrielle de notre monde, de façon un peu revue et touchée par la fantaisie. C’est donc un âge bien sombre qui s’abat sur les populations des différentes nations présentes ici. Sans parler de la surimposition des civils pour mener diverses guerres à l’intérêt discutable un peu partout dans le monde. Autant dire que personne ici n’aurait voulu y vivre.
S’en suit logiquement un mécontentement général qui va pousser la population à se dresser contre ses oppresseurs. Et, comme le dirait Merwan Rim (référence de vieux ici), « c’est contre ceux d’en haut, à mains nues s’il le faut, qu’on gagnera notre place. » Vous l’aurez compris, la révolution guette et différents groupes émergent pour faire entendre leur voix, ou simplement pour casser du noble. Rien ne va (d’où sans doute le titre de L’Âge de la Folie), et Abercrombie s’intéresse donc un peu à l’histoire de notre monde pour nous dépeindre celui qu’il a imaginé. Ça prend plutôt bien et c’est accrocheur.
Une intrigue portée par ses personnages ?
Évidemment, si le contexte géopolitique dépeint par Abercrombie peut aisément faire de l’œil à chacun, il faut aussi que les personnages qui portent cette intrigue soient à la hauteur. Si certains visages (ou plutôt noms dans ce cas-ci) sont déjà connus des lecteurs, d’autres viennent s’ajouter au casting, et il convient donc de s’attarder un peu sur ces derniers afin de voir s’ils parviennent à retenir notre attention.
A première vue, le casting proposé par l’auteur est riche et diversifié. On retrouve notamment Rikke, la fille de Renifleur. Bénéficiant d’un don de voyance qu’elle ne maîtrise pas, elle est mal perçue par ses semblables. Elle est la touche de douceur et de tendresse (pour ne pas dire de féminité quand on voit le reste des personnages) dans un monde de brutes. Premier personnage féminin avec lequel le lecteur est vraiment en « contact » (comprenez au-delà d’un dialogue), elle représente cette jeune femme à laquelle le lecteur s’attache petit à petit, et qui attise la curiosité d’entrée de jeu.
Mais Abercrombie aime aussi jouer avec l’ambiguïté, c’est pourquoi nous pouvons aussi suivre Léo dan Brock, petit-fils du traître du même nom. Contrairement à son aïeul, Léo est très loyal à l’Union et défend ses frontières aux côtés de Lady Finree, sa mère. Surnommé le « jeune lion », il est brave et un peu bourrin, ce qui le différencie du reste de l’Union. Tout aussi attachant que Rikke, ce jeune homme permet une pointe d’action supplémentaire à une intrigue qui n’en manque pourtant pas du tout.
Sont-ce là les personnages principaux ? Oui et non. Léo est souvent mis en avant, tandis que Rikke joue plutôt un second rôle. Mais ces deux-ci sont la représentation même de ce que l’auteur cherche à nous offrir : des personnages travaillés et affinés, qu’ils soient sur le devant de la scène à chaque instant ou jouant sur le banc des réservistes. De l’intelligente et immorale Savine au drogué qu’est Orso, l’auteur prend un malin plaisir à nous décrypter l’ensemble de ses acteurs, de sorte à ce qu’on les haïsse autant qu’on les aime.
Bref, chaque nouveau visage présent dans ce livre est traité avec justesse, et il en va de même pour certains personnages de la première trilogie, à l’instar de Jezal ou Glotka par exemple. Ces derniers apparaissent plus ou moins souvent, avec plus ou moins d’impact sur l’intrigue. Tout dépend de quel personnage il s’agit. Mais si une chose doit être pointée du doigt, c’est bel et bien la montée en puissance du casting féminin créé par Abercrombie. Les femmes sont bien plus présentes et plus puissantes dans ce roman, ce qui permet une variété bienvenue dans les scènes d’action ou les dialogues.
Un peu plus à dire
Pour celles et ceux qui ont apprécié Premier Sang, L’Âge de la Folie ne vous emmènera pas en territoire inconnu. En effet, Abercrombie garde sa logique dans le développement scénaristique et des personnages. On retrouve, une génération plus tard, des rivalités toujours présentes et des acteurs qui évoluent pour devenir l’exact opposé de ce qu’ils étaient au début de l’intrigue. Un schéma alors connu, mais dans un univers qui a évolué au point de devenir, lui aussi, fort différent.
Mais, aussi, ce premier tome surprend par son rythme, cassant avec ce qui nous a été proposé par le passé. En effet, certaines choses vont plus rapidement, beaucoup plus rapidement. Alors qu’un premier tome peut se contenter de poser des bases solides pour ensuite enchaîner avec deux tomes haletants, Abercrombie nous sert un premier tome déjà bien rempli, avec une révolution (je vous parlais d’un contexte social tendu, donc voilà) qui éclate rapidement. Autant dire que la surprise de voir ce conflit interne arriver aussi vite était présente.
Par ailleurs, cette « rapidité » peut être un défaut. En effet, compte-tenu du rythme quelque peu effréné que l’on nous sert, certains rebondissements sont prévisibles. Que cela soit dans les relations entre différents personnages où dans l’évolution de l’intrigue, on ne peut qu’être peinés par le côté attendu de certains événements. Pour un lecteur du premier cycle, certains passages laisseront même un petit goût de réchauffé.
Gardez néanmoins à l’esprit que cela ne veut pas dire qu’il s’agit d’un mauvais premier tome. Loin de là ! Un soupçon de haine est un excellent roman, où l’action occupe une bonne place, où l’humour, quoi qu’un peu en retrait, fait mouche et où les personnages sont tantôt attachants, tantôt agaçants, pour fournir un cocktail détonant qui accroche tout du long. Certains défauts sont présents, mais l’ouvrage reste qualitativement excellent, et aucun des défauts cités ne parvient à altérer le plaisir de lecture. Et c’est bien là le principal non ?
Faut-il craquer pour le premier tome de L’Âge de la Folie ?
Après un aussi long article, il est normal de se demander si, au final, il faut acheter ce nouveau roman ou non. Et bien la réponse est plutôt positive. Évidemment, pour un nouveau venu dans les récits de Joe Abercrombie, L’Âge de la Folie – Un Soupçon de Haine n’est clairement pas le meilleur bout par lequel commencer, notamment à cause des échos très nombreux à la trilogie précédente.
Pour les autres, habitués des écrits de l’auteur anglais, ce nouvel ouvrage est très bon, et il ne faut pas hésiter à mettre la main dessus. Si le tout peut parfois sentir le réchauffé, tout reste très bon, que cela soit du côté de l’intrigue et des personnages. Le rythme est un peu différent, certes, mais la lecture reste très agréable.
Acheter L'Âge de la Folie - Un soupçon de haine sur AmazonPour conclure, nous pouvons dire que Bragelonne nous propose ici une nouvelle trilogie qui promet de nous faire vivre une histoire bien écrite et plutôt alléchante. Reste que L’Âge de la Folie est un très bon début, sans pour autant être à conseiller aux nouveaux venus. S’y essayer et accrocher est possible, mais un passage par la trilogie précédente et les one-shots attenants est préférable.
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