Les Limbes Sanglants : Présentation et avis sur le livre de Bragelonne
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Rédigé par Nathan Champion
Jeu de plateau ayant bénéficié d’un financement participatif sur Kickstarter, Claustrophobia 1643 dispose d’un univers sombre dans lequel une porte des enfers a été ouverte, et demeure gardée depuis par l’église. Si je vous parle de ce jeu, c’est parce que l’œuvre que je m’apprête à vous présenter prend justement place l’année où tout commence dans la ville non fictive de Magdebourg, en Germanie. Ce qui est un brin plus fictif, c’est ce que Nicolas Texier a brodé autour. De la présence d’ecclésiastiques aux tendances fanatiques, de galeries souterraines changeant sans cesse de forme, et de créatures assoiffées de sang en quête de la moindre proie. Parlons donc de son dernier roman en date, Les Limbes Sanglants, aux éditions Bragelonne !
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ToggleUn roman presque-historique
Romancier français spécialisé dans la fantasy, Nicolas Texier est l’auteur de la courte série Monts et Merveilles, dont le goût pour l’uchronie fait étrangement écho à un autre ouvrage que l’on présentait il y a quelques semaines : Le Grand Jeu, de Benjamin Lupu. Œuvres pour jeunes adultes, ce qui est loin d’être à prendre pour une critique, précisons-le, ces trois tomes parus de 2018 à 2020 ne semblaient pas prédisposer l’auteur à plonger dans des récits plus matures et sanglants. Pourtant, c’est bien lui qu’on retrouve à la barre pour cette adaptation de Claustrophobia 1643. Comment cela est-il arrivé ? Difficile de le dire !
Parce qu’avec ce jeu de plateau, financé sur Kickstarter, on est bien loin de l’œuvre de fantasy un brin édulcorée. On est même plutôt sur du fantastique très sombre, avec un goût pour les rivières d’hémoglobine et pour les créatures infernales et étranges. Bien sûr, on ne pourra pas vous en raconter beaucoup plus dans ces lignes concernant ce jeu… pour la simple et excellente raison que nous n’y avons tout simplement pas touché, et ne sommes pas experts dans le domaine. Cela étant, il est vrai que nous sommes ressortis de cette lecture avec l’envie d’en découvrir plus sur le travail de Monolith, concepteur de Claustrophobia (et non, rien à voir avec les développeurs de Xenoblade Chronicles).
Ce qu’on peut vous dire, cependant, c’est que l’univers du jeu prend place pendant la guerre de trente ans, qui a éclaté en 1618, principalement pour des raisons religieuses. La ville de Magdebourg, qui existe bel et bien rappelons-le, est alors bien placée dans ce conflit, au cœur de l’ancienne Germanie, qui deviendra par la suite l’Allemagne que l’on connaît aujourd’hui. Seulement, bien loin de la guerre, l’univers de Claustrophobia 1643 nous dépeint une cité bien différente, fortifiée de l’intérieur afin de faire face à un ennemi qui ne combat pas avec des épées et des canons. Cet ennemi, c’est le diable en personne.
Comprenez par là qu’une véritable porte vers les enfers aurait émergée sous Magdebourg, que l’on appelle bientôt la nouvelle Jérusalem, déversant dans la ville des centaines de créatures aux dents acérées, désireuses d’égorger hommes, femmes et enfants, sans distinction. Rapidement, les forces armées de l’église reprennent le dessus et annoncent être parvenues à refermer la trappe par laquelle ce flot de démon remontait. Seulement voilà, nombreux sont ceux qui convoitent les richesses supposées que renfermeraient les nombreuses galeries souterraines. Mais pas que, puisqu’un ordre à part de l’église désirerai carrément rouvrir la porte vers les enfers afin, persuadés d’être investis d’une mission divine, de faire descendre l’apocalypse sur Terre.
Une adaptation qui donne envie ?
Ce qui est intéressant avec Les Limbes Sanglants, c’est qu’il est presque écrit comme le serait un roman historique, tel que Cathares 1198 dont nous parlions il y a quelques temps. Ce que nous entendons par là, c’est que de nombreuses références sont faites à des événements et des dates, mais aussi à la papauté et au pouvoir de l’église. Le tout lui confère, en premier lieu, un univers tangible, crédible, qui aurait presque pu être le pitch de départ d’une œuvre traitant de la guerre de trente ans, ou de la vie des populations germaniques pendant le conflit. Au lieu de ça, on nous invite rapidement à descendre dans des galeries infestées de créatures infernales.
C’est d’abord avec la jeune Tilla, une prostituée vivant dans le quartier pauvre de Magdebourg, que l’on découvre ces couloirs étranges. Désireuse de changer sa vie, croyant dur comme fer aux racontars au sujet de richesses extraordinaires se trouvant dans les profondeurs, elle décide de s’enrôler dans une expédition clandestine, menée par des hommes de foi. Ceux-ci ne promettent pas grand chose aux bagnards et aux fous qui les accompagnent, si ce n’est l’absolution de leurs péchés dans le cas d’une mort héroïque. Et bien évidemment, la mort attend toute cette petite troupe, dont les pérégrinations n’occupent guère que le premier quart du roman.
Après cela, c’est aux cotés de Samuel Spadini, père jésuite récemment arrivé dans la région sur ordre de l’église, que nous allons pouvoir observer la ville de Magdebourg. Celui-ci prend son temps pour nous montrer toutes les spécificités de cette cité étrange, de l’ordre religieux qui y a élu domicile et y a pris le pouvoir, mais aussi des citoyens restés sur place. Les rues transpirent la boue et la crasse, comme ce que l’on peut imaginer d’un Moyen-Âge romancé, et tout le monde semble vivre sa vie sereinement, alors que quelques années plus tôt les hommes se faisaient dévorer par les armées de Satan.
Les Limbes Sanglants est découpé en trois parties, correspondant en toute logique à une progression chronologique de l’histoire. Et il est vrai que changer de protagoniste au bout de 75 pages, après avoir suivi une petite troupe dans sa descente aux enfers, a quelque chose d’assez surprenant. Nous avons tout d’abord cru qu’il s’agissait d’un recueil de nouvelles, sans nous en être rendu compte au préalable, mais ce n’était pas le cas. En réalité, l’histoire de Tilla la prostituée prend fin lorsque débute celle de Spadini le Jésuite, point final.
Ce qui n’est pas plus mal pour le dynamisme du roman, qui est étrangement bien rythmé pour une œuvre laissant de prime abord le goût d’un texte historique sur le bout de la langue. Et ce n’est pas la seule qualité de Les Limbes Sanglants, qui parvient à merveille à nous décrire l’univers de Claustrophobia 1643, et la chute progressive de cette Magdebourg en prise aux créatures démoniaques. On s’y croirait, et au risque de nous répéter, il est vrai que l’on ressort de cette lecture avec l’envie d’en apprendre plus sur le jeu de plateau et son univers.
Cela étant, l’œuvre de Nicolas Texier n’est pas exempte de défauts pour autant. Malgré un rythme soutenu, et des chapitres courts, certains passages traînent en longueur, semblant par moments gonflés artificiellement pour ajouter des pages au produit fini. Dans le même ordre d’idée, il arrive que les personnages ne communiquent pas comme ils sembleraient le devoir, et donc que des scènes se révèlent frustrantes pour le lecteur. Là encore, cela produit un effet étrange, donnant une impression de remplissage forcé.
Le plus surprenant reste sans doute que les deux meilleures parties du roman sont la première et la dernière, soit les plus courtes. Tout simplement parce que le voyage de Tilla nous emmène dans des couloirs étranges, dont on imagine aisément l’ambiance pesante. Tandis que le dernier tiers de Les Limbes Sanglants règle de nombreuses questions que l’on a pu se poser au cours de notre lecture. Seule la partie centrale est inégale, s’étirant parfois en longueur, et souffrant de facilités scénaristiques par moments. Pour le reste, Nicolas Texier écrit bien, c’est un fait établi !
Faut-il acheter Les Limbes Sanglants ?
Il n’est pas aisé de définir avec certitude à qui s’adresse Les Limbes Sanglants. Parce que si sur le papier on voudrait nous faire croire qu’il s’agit d’un roman fantastique prenant place dans l’univers de Claustrophobia 1643, en réalité on a un peu l’impression d’avoir lu une publicité déguisée, éditée par Bragelonne. Alors entendons-nous bien, ce n’est pas forcément une mauvaise chose quand c’est bien fait. Et nous avons passé un bon moment sur Les Limbes Sanglants, ce n’est pas à démontrer. Cela étant, on sent rapidement les limitations de ce mode de création, puisque Nicolas Texier semble avoir brodé çà et là pour faire gonfler son roman qui, sans cela, aurait peut-être été un peu mince.
Enfin, pris pour ce qu’il est, Les Limbes Sanglants n’est pas un excellent roman fantastique. Il ne bénéficie pas de personnages particulièrement attachants, et sa fin risque de ne pas plaire à tout le monde. Il demeure malgré tout une porte d’entrée honnête dans l’univers de Claustrophobia 1643, dont nous ne connaissions rien avant de plonger dans le récit, mais dont on a terriblement envie de faire l’acquisition aujourd’hui. Nul doute que les habitués du jeu de plateau trouveront leurs marques dans ce récit, qui peut être une bonne occasion d’en approfondir le background. Les autres auront toutefois plus de mal à trouver de l’intérêt dans ces pages, malgré un univers accrocheur et des qualités certaines.
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