Le skate a pu connaître des périodes dorées dans le jeu vidéo, surtout fin 90-début 2000 du côté des Tony Hawk, puis auprès de la licence Skate chapeautée par Electronic Arts. Ensuite, face aux productions un peu moins bonnes et/ou au silence adopté par ces deux grands noms de la planche à roulettes, les fans du genre ont dû se mettre à des productions plus indé, comme la très bonne trilogie OlliOlli.
C’est d’ailleurs en 2022, où a débarqué OlliOlli World, qu’un autre univers particulier a pointé le bout de son nez. Intitulée Skate Story, la création du développeur solo Sam Eng a tout de suite donné le ton. Une direction artistique surréaliste mettant en scène un démon de verre prêt à rider avec son skateboard sur les routes d’une version psychédélique des Enfers, il n’en fallait pas plus pour attiser la curiosité.
Puis, trois ans de développement supplémentaires plus tard, l’ironie a voulu que ce Skate Story sorte en ce mois de décembre 2025, soit la même année que Tony Hawk’s Pro Skater 3+4 et la relance de Skate, toujours par EA, en version free-to-play. Qu’importe, la proposition de Sam Eng a semblé suffisamment à part pour nous laisser entrer avec intérêt dans son monde si particulier, sans à aucun moment mesurer avec précision ce qui pouvait nous attendre.
Conditions de test : Nous avons joué à Skate Story sur PS5 classique, en version 1.005.000 et durant 8 heures. Ce temps nous a permis de finir le jeu tout en flânant un peu dans certains niveaux, et en prenant soin de récupérer bon nombre d’éléments cosmétiques. Le test a été réalisé grâce à la disponibilité du jeu dès son lancement sur le PlayStation Plus Extra/Premium.
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ToggleManger la lune, ça ne me fait pas peur

Dans les Enfers, la Lune maintient les démons éveillés, exerçant sur eux une sorte de contrôle dont ils ne peuvent se défaire. Mais l’un d’entre eux finit par en avoir marre. Pour retrouver son âme, il souhaite s’en prendre à la Lune elle-même. Épuisé et affamé par l’éternité à laquelle il a commencé à goûter, il décide tout simplement d’aller l’avaler. Notre démon se retrouve rapidement embêté, puisqu’à pied, il ne va pas pouvoir réussir grand-chose.
Son salut réside dans l’obtention d’un skateboard. Pour repartir avec, le démon signe un contrat de quatre pages avec le Diable. Dans ce contrat, les conditions sont simples : en échange d’une renaissance sous un corps de verre et de souffrances, l’âme du démon sera enchaînée au skateboard, et elle ne sera de nouveau libre qu’après avoir avalé toutes les lunes.
Si vous êtes encore là après avoir lu les deux premiers paragraphes, vous vous demandez sûrement où se trouve le sens de tout ceci. Vous avez raison, sauf que dites-vous bien que vous n’avez encore rien vu. Quoi qu’il en soit, nous voici dans la peau d’un skateur de verre, à l’assaut de la Lune puis des six autres, symbolisant les marqueurs de progression de notre aventure. Le skateboard allant rarement de pair avec des histoires que l’on souhaite raconter, on parcourt les premiers mètres relativement excité, bien curieux de ce que le bout de notre chemin nous réserve.
Et on ne tarde pas à en redemander encore et encore, tiraillé entre l’incrédulité et la fascination de ce qui se déroule sous nos yeux. La bizarrerie règne, lorsque au fur et à mesure de notre visite des Enfers, nous faisons la connaissance d’une grenouille vendeuse de bagels, des cônes de signalisation portant tous une orthographe différente du prénom Shaun, ou encore un métro qui navigue dans le Vide tel un millepatte.
On est d’ailleurs souvent pris dans des dialogues pas beaucoup plus sensés, autant à base de philosophie que de paroles cryptiques ou de simples banalités. Même certains objectifs s’avèrent volontairement bas du front, comme cette quête demandant de récupérer des lettres pour former des mots, véritable clin d’œil moqueur quoiqu’assumé au passé du genre. Alors un univers sans queue ni tête, oui, au point d’aller risquer d’en faire décrocher pas mal, pour peu que l’humour similaire aux productions Grasshopper Manufacture ne fasse pas mouche. De plus, on déplore l’absence (ou l’oubli) du sous-titrage français à de nombreuses reprises, pourtant présent le reste du temps.
Ah bah si c’est ça les Enfers…

Et pourtant, il se dégage en même temps de ces Enfers, d’une manière ou d’une autre, une certaine familiarité. Ce n’est pas un hasard, puisqu’on traverse régulièrement des environnements urbains dans une version onirique de New York. Ces décors représentent une forme de repère au milieu de paysages — on y revient — beaucoup plus surréalistes et psychédéliques, aux formes et couleurs s’efforçant de varier régulièrement, presque à chaque changement de zone, où l’aberration chromatique et les distorsions visuelles cultivent une sorte d’esthétique rétro hypnotisante. Bien évidemment, attention aux personnes visuellement sensibles et sujettes aux crises d’épilepsie.
Notre voyage sensoriel franchit un cap supplémentaire grâce à la musique embarquée. Pour faire simple : la bande-son est un vrai bijou. Sam Eng a fait appel à Blood Cultures, un groupe de pop indé expérimental, afin de signer une liste de tracks composées spécifiquement pour le jeu. Et il en ressort « Emptylands », une véritable bombe, aux côtés d’autres morceaux très sympas comme « Unarchiver » ou « The Age of Disbelief ».
Mais outre les morceaux inédits, Sam Eng pioche aussi allègrement dans la discographie déjà existante du groupe, avec les excellents « Phospholid », « Glass » ou « Flowers for All Occasions ». Notons que John Fio complète les rangs de la composition, qui a déjà accompagné le développeur solo sur son précédent jeu Zarvot. Bref, vous l’avez compris, la musique joue presque le rôle de personnage secondaire, tout comme la direction artistique finalement, ce qui nous permet d’être constamment transporté durant notre exploration des Enfers.
Sauf que tout cet habillage artistique, s’il fonctionne si bien, c’est parce qu’au milieu s’articule un gameplay de skate convaincant. Attention, cependant, pas à n’importe à quel prix. Du point de vue de quelqu’un qui n’a pas une très grande expérience des jeux de skate, il est évident qu’il peut il y avoir un coup à prendre. Rien qu’au niveau de la gestion de la vitesse et des pentes, mise à profit très tôt dans l’aventure, on ressent nettement le fragile équilibre de notre démon, nous poussant à donner constamment de petits coups de joystick pour ne pas dériver et se prendre un obstacle de plein fouet, ce qu’on vit hélas à bon nombre de reprises.
I’m a Skateman

En ce qui concerne le maniement de la planche en elle-même, les tutoriels se chargent de nous apporter, petit à petit, les différents mouvements dont nous pouvons bénéficier. Du basique ollie au varial flip en passant par le grind, tout s’effectue plutôt facilement avec l’usage d’un bouton ou deux puis du choix de la gâchette qui concrétisera le trick. Maintenant, sans aller jusqu’au fameux qualificatif « facile à jouer, dur à maîtriser » Skate Story est une allégorie de la pratique du skate. Pour devenir bon, il va falloir tomber et prendre des risques.
Notre démon étant constitué de verre, un faux-pas brutal se traduit par une brisure en mille morceaux ou, au mieux, par une perte significative de la santé. Cela étant dit, pour ne pas virer dans le punitif, la santé remonte automatiquement et rapidement, et le dernier checkpoint n’est jamais injuste. Encore mieux, et plutôt vite dans l’aventure, on récupère une marque à placer au sol, définissant un emplacement où réapparaître à volonté. Pas mal d’options d’accessibilité viennent de surcroît faciliter le gameplay si besoin, comme l’ajustement de la santé du skateur, justement.
Il ne faut donc pas hésiter à oser des trajectoires ou des mouvements risqués, car quand ça paye, il en ressort un joli sentiment de satisfaction. Alors oui, parfois, on pense que l’on va pouvoir grinder sur un rebord, alors qu’en fait l’angle n’était pas bon de quelques centimètres. Aussi, une action réussie dépend souvent d’aller à une certaine vitesse. Tout ne se déroule toujours pas comme sur des roulettes, au contraire, mais au lieu d’éprouver de la frustration, on savoure le côté assez organique du ride. Exception faite aux vrais bugs de collision, où il nous est arrivé régulièrement de skater à l’horizontale sur le côté d’une rampe avant de chuter.
Des sensations en tout cas plus intéressantes, ou tout du moins plus rafraîchissantes, que d’être aimanté aux rampes, rambardes et autres obstacles. Et puis, pour nous encourager à jouer varié, et parce que le style a son importance, répéter plusieurs fois le même trick donne moins de points, et le multiplicateur descend plus rapidement. On passe alors notre temps à tester différentes choses, à se laisser porter par notre intuition influencée via un level design franchement bien exécuté.
Une virée relativement personnelle

C’est d’autant plus juste dans les niveaux ouverts, où on se surprend carrément à délaisser les objectifs principaux afin de dompter la zone et parfaire notre technique. Allons même encore plus loin, la caméra est faite pour rider sous plusieurs perspectives, et on ne se prive pas. Se rassurer en élargissant la vue, histoire de bien identifier les obstacles autour de nous, ou tenter une approche plus viscérale et grisante en plaçant la caméra au ras du sol, on teste plusieurs configurations. De plus, et là encore, on dispose de pas mal de paramètres pour la régler, comme la distance focale, les tremblements d’écran ou l’effet fisheye.
Cette capacité à être un peu notre propre réalisateur sert le caractère un peu personnel de l’expérience. Les chapitres, qui justement nous offrent un terrain de jeu fertile à ce genre de flâneries et d’expérimentations, représentent une bonne moitié du jeu, avec même quelques activités à réaliser ici. Relativement symboliques et rares, elles consistent à réaliser des figures dans un cadre donné ou bien suivre des « trucs » volants pour récupérer des points d’âme.
On est même en mesure de tomber sur des stickers à coller sur notre planche, voire des planches elles-mêmes, parfois très bien cachées. Car évidemment, que serait un jeu de skate sans la possibilité de personnaliser son joujou à loisir ? Il y a facilement plus d’une vingtaine de modèles, certains à l’effigie de Devolver ou d’autres jeux de l’éditeur, comme Pikuniku ou Inscryption.
Des boutiques de souvenirs nous offrent également la possibilité d’en acheter, comme des variétés de trucks et de roues, justement grâce aux points d’âme que l’on récolte au fil de nos pérégrinations. Détail assez plaisant, la planche que l’on utilise finit par s’user, tout comme les stickers que l’on colle librement dessous. Il est possible de réinitialiser son état moyennant finance, mais il faut reconnaître que ce marqueur du temps qui passe et de l’expérience qui rentre reste attachant.
Juste avant de rentrer dans la dernière ligne droite du test, on souhaite souligner un point important. Il est parfaitement possible de laisser de côté toute l’esthétique du gameplay, de se contenter de réaliser des figures uniquement lorsque cela s’avère nécessaire, et ainsi tracer l’histoire principale. On ne va pas mentir, c’est se priver d’une bonne partie de l’intérêt du titre. Seulement, en jouant de cette manière, on peut profiter de ce qu’il a à offrir d’autre sans trop se casser les dents. C’est du « skate », mais c’est aussi une « story ».
Mes roues, j’les mets où j’veux

D’ailleurs, c’est bien beau tout cela, sauf qu’il y a des lunes à avaler justement. Et comment s’en charge-t-on ? Eh bien en claquant des figures, bien sûr. Oui, outre le pur scoring, le montant que l’on accumule à mesure de réaliser des tricks fait par ailleurs office de points de dégâts lors des « combats ». On utilise des guillemets car on ne peut pas vraiment parler d’opposition. Il arrive à quelques reprises que l’on se prenne des dégâts, mais la plupart du temps, notre principal adversaire reste le chronomètre.
Il impose un délai sous lequel on doit rejoindre une destination et/ou arriver au bout de la barre de vie des boss, dont la plupart sont les lunes, vous aurez fait le rapprochement. Face à ces boss, il faut donc faire monter son score, puis « claquer » son combo via la pression d’un bouton, en atterrissant au bon endroit. Les dégâts infligés sont donc plus importants si l’on skate efficacement. Là aussi, des paramètres peuvent jouer sur la durée de maintien du combo ou le montant des dégâts infligés.
Pour le reste, chaque boss propose des patterns ou une façon légèrement différente d’être vaincu. Après, globalement, tout se déroule dans des conditions permissives. Seule la dernière ligne droite nous met face à un chrono qui ne laisse que peu de place à l’erreur. On le rappelle, il ne s’agit pas d’un jeu de tryharder, mais plutôt un voyage atypique et envoûtant avec comme fil rouge une pratique relativement accessible du ride.
Attention, Skate Story n’est pas immunisé aux petits moments de lassitude ou d’ennui, et sans doute est-il préférable d’espacer un tantinet les sessions. Reste que le titre dispose d’une durée de vie d’une huitaine d’heures, si l’on prend son temps, ce qui constitue une durée tout à fait convenable. Comptez plutôt entre cinq et six heures si vous êtes plus adepte de la ligne droite. Malheureusement, les trophées et achievements n’apportent pas tellement d’intérêt supplémentaire.
Réaliser un combo à plus de 99 999 points demeure un challenge intéressant à aller chercher, mais la réalisation des 10 000 tricks risque de mettre une éternité à tomber pour les plus pressés. Aux côtés de trophées plus classiques ou des actions un peu cachées à réaliser, et surtout sans sélection de chapitre après avoir terminé l’histoire, le titre de Sam Eng n’offre peut-être pas suffisamment d’éléments pour y retourner, si ce n’est le plaisir de relancer une nouvelle partie pour déambuler dans cette vision si ensorcelante des Enfers.
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