Jadis, Joe Musashi était un nom évocateur. Le visage de SEGA et de son ambition. C’était entre l’année 1987 et l’année 1993, lorsque la licence Shinobi s’imposait année après année sur l’écran des bornes arcade et la télévision qui trônait fièrement dans nos salons. Il y eut un avant et un après Joe Musashi. Cependant, cela n’empêcha pas la série de sombrer dans l’oubli, piégé dans l’ombre de la modernité après des tentatives de retour discutables. Et puis, récemment, il y eut Lizardcube. Fort de son succès et de sa fructueuse collaboration avec SEGA sur Streets of Rage 4 (2020), le studio français s’est mis en tête de ressusciter une des plus mythiques licences de la firme japonaise. C’était annoncé dès le premier trailer, avant d’être confirmé par la démo jouable : Shinobi : Art of Vengeance vient dynamiter la série, ériger une nouvelle voie et lui redonner vie dans ce futur qu’est 2025.
Nous vous invitons à découvrir notre papier dédié à la trilogie originelle pour plus d’informations sur la licence. Sachez également qu’un DLC est déjà prévu. Nous y affronterons plusieurs personnages sous forme de boss issus d’autres licences SEGA, le premier étant le Dr. Eggman de Sonic. Un clin d’œil aux anciens épisodes qui, dans leur version japonaise, n’hésitaient pas à plagier ouvertement des icônes de la pop culture – Spider-Man par exemple – afin que Musashi les neutralise. Le Wu-Tang Clan s’invite aussi par l’intermédiaire d’une musique promotionnelle interprétée par Young Dirty Bastard (YDB), fils d’Ol’Dirty Bastard (ODB).
Conditions de test : Nous avons joué sur PS5 durant 18 heures. Nous avons atteint les crédits de fin avec un taux de complétion de 91% avant de rejouer des niveaux et tenter le mode boss rush.
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Jouer les ninjas n’est pas de tout repos. Ninja Gaiden : Ragebound nous l’a récemment rappelé à sa manière, tandis que parcourir The Revenge of Shinobi et Return of the Ninja Master n’était – et n’est toujours pas – une mince affaire. Sans résilience pas de vengeance. Cela dit, rien de tel cette fois-ci. Lizardcube a préféré assouplir l’exigence requise, sans pour autant effacer toute adversité, reléguant les passages les plus retors – généralement des séquences de plateforme – à des situations optionnelles. Venir à bout de l’aventure principale en ligne droite est à portée de sabre. Les options de difficulté vont dans ce sens.
En effet, les choix ne sont que réduction du challenge qui, au finalement – pour nous du moins – n’est pas si relevé. Exception faite aux défis, plus exigeants. Car le plaisir procuré par Shinobi : Art of Vengeance n’est pas dans l’adversité, mais ailleurs. Comme ses aînés finalement, dont la difficulté d’un autre âge n’a plus vraiment sa place aujourd’hui. Pas avec autant de brutalité, même si les jeux Shinobi n’ont jamais été foncièrement injustes en comparaison d’autres titres emblématiques de l’arcade. La série de SEGA fut une vitrine technique et, surtout, un modèle de game design. Un symbole d’efficacité, aux mécaniques ciselées et sans fioritures inutiles.
Les jeux vidéo se sont complexifiés au fil des décennies, et attendre la même prouesse des studios aujourd’hui n’a plus vraiment de sens. De surcroît avec un Shinobi : Art of Vengeance plus généreux en contenu que ses prédécesseurs. Entre l’aventure, le mode arcade (avec scoring), le mode Boss Rush, ainsi que les collectibles à dénicher, les combats d’élite et les défis de plateforme, il y a de quoi s’amuser et profiter d’un gameplay exemplaire. Une sorte de Shinobi May Cry qui aurait emprunté la direction artistique et les feedbacks de Streets of Rage 4. On retrouve même quelques réminiscences de Metroidvania.
Da Mystery of Ninjutsu
Un Shinobi réussi est un Shinobi capable d’hybrider des mécaniques diverses et d’imposer son identité. Le titre de Lizardcube et SEGA condense tout ce que la scène indépendante, baignée dans l’action et le Metroidvania, a produit de meilleur ces dernières années pour mieux redéfinir la licence. Dans un assemblage de prouesses qui rend l’ensemble saisissant. Si les opus d’antan jouissaient déjà d’une maniabilité admirable pour l’époque, trente ans plus tard, la raideur des muscles usés par l’âge se fait logiquement sentir. Suivant les traces de ses aînés, les honorant avec sincérité et rigueur, Shinobi : Art of Vengeance transcende le gameplay signature.
L’aisance avec laquelle on contrôle Joe, la fluidité des actions et cette subtile impression d’apesanteur offrent un rendu des plus satisfaisants. On se sent ninja. Si l’on ajoute à cela le travail d’orfèvre accompli sur les décors, ce souci presque maladif du détail – une obsession héritée de l’influence d’Akira et du travail de Katsuhiro Otomo, toute proportion gardée –, sans oublier toute la partie sound design et les feedback sonores comme visuels, le cocktail impressionne. On sent l’exaltation nous traverser et la dopamine s’accumuler au rythme des combats. Proche d’un DMC, Shinobi : Art of Vengeance est bel et bien un jeu chapeauté par les équipes déjà à l’œuvre sur Streets of Rage 4.
Joe Musashi est un grand maître respecté, sa puissance est connu de tous. Ce nouvel épisode est peut-être une excellente porte d’entrée dans la licence, il ne renie pas le passé de son héros. Peu surprenant donc, de contrôler un personnage aussi puissant. La prise en main, intuitive et tout en simplicité, nous offre une action frénétique au croisement d’un Shinobi 3D (2011) et d’un beat’em all signé Capcom. C’est d’une jouissance presque indécente, à croire que les ennemis ne sont là que pour souffrir et mettre en valeur les talents de Musashi.
Sympathy for Mister Shinobi
Sans proposer une pléthore de coups, l’approche rejoint celle d’un DOOM :des options offensives limitées, mais pensées pour être pleinement maîtrisées, afin de terrasser un bestiaire là aussi condensé – bien que suffisant pour l’aventure. Car il faut apprendre leurs patterns et composer avec les situations où les archétypes d’ennemis se mélangent. Non pas que l’approche soit aussi décisive que dans la licence d’id Software, néanmoins, à l’instar d’un DMC ou d’un jeu PlatinumGames, il est bon de connaître les atouts et les faiblesses adverses pour s’assurer des combos stylés. Plus que la recherche de style, après tout Musashi n’est pas le trublion Dante, c’est l’efficacité qui est recherchée.
En témoigne le lot de talismans proposés durant l’aventure et dont une partie s’active qu’une fois un nombre de coups précis atteint lors d’un combo. Shinobi : Art of Vengeance récompense le beau jeu et la maîtrise. Porté par le superbe travail de composition de Tee Lopes, habitué à œuvrer sur des licences SEGA – puisqu’il a déjà signé les musiques de plusieurs jeux Sonic (et plus récemment TMNT : Shredder’s Revenge) – et épaulé par le prolifique Yuzo Koshiro, dont le nom reste indissociable des séries Streets of Rage et Shinobi, on est immédiatement happé. Impossible de ne pas s’investir.
On profite des somptueux décors, marqués par cette patte Lizardcube reconnaissable, puisant autant dans la bande dessinée que dans l’animation japonaise. C’est vivant, coloré, varié, et le jeu se paye même le luxe d’offrir son lot de séquences dépaysantes, ponctuées de transitions bienvenues donnant temporairement la primauté au run’n gun. Dommage que ces transitions s’éternisent un peu au regard de ce qu’elles proposent… Elles ont néanmoins le mérite d’exister et de convoquer le passé, surtout qu’elles ne pénalisent jamais l’aventure en cas d’échec. Les développeurs souhaitaient faire les choses bien, proposer un game design solide et cohérent avec la licence, mais aussi à porter de sabre.
Les checkpoints sont généreux – hormis une ou deux séquences de plateforme – et Musashi domine ses adversaires en termes de puissance et de vivacité. Notre montée en puissance se ressent et se développe mission après mission, en même temps que nos réflexes s’aiguisent. En outre, les niveaux s’étendent et proposent divers recoins, passages optionnels et cachés récompensés par des coffres ou des items, nécessaires à l’achat de nouvelles techniques chez le marchand. Des zones invitent même au backtracking une fois la compétence adéquate acquise, mais tout reste optionnel. Pourtant, négliger l’exploration dans Shinobi : Art of Vengeance serait passer à côté d’une grande partie du jeu.
Clan in da Front
Moins d’exploration signifie moins de techniques débloquées, donc un gameplay restreint, loin de son plein potentiel ludique. Chaque statue de téléportation fait également office de point de sauvegarde, rendant aisé le fait de reprendre un niveau à un endroit précis sans l’obligation de rejouer la totalité. On reste bien dans un Shinobi, qui n’a jamais été un Metroidvania. Pour autant, les développeurs invitent à la découverte du monde. Un monde dense et vivant, riche en clins d’œil aux anciens épisodes de la licence aussi. La narration, elle, s’impose avec efficacité, soutenue par un doublage intégral et des scènes fixes qui, malgré leur sobriété, bénéficient d’une mise en scène percutante. Une quête de vengeance classique, mais efficace.
Seul bémol : le level design. Efficace, il l’est, sans aucun doute. En revanche, plusieurs répétitions de situations et de constructions de niveaux sautent immédiatement aux yeux. Cela n’entache en rien le plaisir global de l’aventure, mais nous étions en droit d’attendre un peu plus d’audace. Reproche que l’on faisait également au Ninja Gaiden développé par The Game Kitchen. Pour autant, le travail accompli fait honneur aux aînés et convoque habilement des séquences issues des épisodes passés, mais modernisées. Sublimées même. Malgré des répétitions, les artistes de Lizardcube réussissent à exploiter leur gameplay, à solliciter l’ensemble des mécaniques à disposition.

Avant la sortie de Shinobi: Art of Vengeance, retour sur la licence culte de SEGA
La licence de SEGA ne s’est jamais enfermée dans un unique genre vidéoludique. Un refus d’étiquette que Shinobi : Art of Vengeance perpétue. Pour autant, la composante run’n’gun perd en impact au profit du corps-à-corps. Les kunais sont toujours de la partie, tout comme les (trop) puissants Ninpôs, mais l’action reposant avant tout sur l’intensité des combats à l’arme blanche et sur le flow des combos, les projectiles serviront surtout aux enchaînement. À ce titre, l’influence des opus 3D de la PS2 (Shinobi et Nightshade), ainsi que l’opus Shinobi 3D sorti sur 3DS est manifeste. L’épisode chapeauté par Lizardcube synthétise ces visions, s’imprégnant dans le même temps de l’aura de la trilogie qui plane constamment sur le titre.
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