Pour une partie de la sphère vidéoludique, l’année 2025 est synonyme de ninja. Sans aller jusqu’à envahir les productions comme la figure du samouraï, il y a un regain d’intérêt notable. Ils se déploient et nous infiltrent autant en 3D qu’en 2D. Mais s’il y a bien un maître du ninjutsu décidé à sortir de l’ombre et faire parler plus que d’autres, c’est Ryu Hayabusa. Après le sanglant shadow drop de Ninja Gaiden 2 Black plus tôt cette année, et en attendant un quatrième épisode fort attendu, voici la venue de Ninja Gaiden : Ragebound. Un soft 2D qui sent bon le ninja pixelisé de la fin des années 90, lorsque Shinobi, Ninja Gaiden et Strider s’emparaient des salles d’arcade et des consoles de salon. Une mouture qui rend fièrement hommage aux aventures fondatrices du ninja dragon qui, aujourd’hui, laisse la place à deux nouvelles têtes : Kenji et Kumori.
Condition de test : nous avons joué 14 heures à Ninja Gaiden : Ragebound sur PS5, le temps de finir une première fois l’aventure, de terminer les niveaux secrets et de mourir plusieurs fois, puis de démarrer une nouvelle partie en difficile et ainsi mourir encore et encore.
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Porté par un désir de moderniser des formules du passé sans en trahir l’essence, l’éditeur Dotemu est à l’origine de l’idée d’un nouvel opus en 2D, qui deviendra le bien nommé Ninja Gaiden : Ragebound. Les droits étant détenus par Koei Tecmo, c’est bien ce dernier qui confiera le projet à The Game Kitchen. Comme beaucoup, les talents du studio sévillan ne leur à pas échappé. Entre le pixel-art et la direction artistique soignée, le challenge relevé et le gameplay brutal, tout était là pour redonner vie de la meilleure manière qui soit à la série. En réinvestissant les origines pixelisées en deux dimensions. Loin de l’image construite par les suites menées par Tomonobu Itagaki et ses équipes. Autant dire que le studio espagnol portait une lourde responsabilité.
Les équipes devaient réussir à exprimer leur savoir-faire sur une licence existante, et pas des moindres. Il fallait ensuite bâtir un game design dont la philosophie motrice s’opposait à celle ayant fait leur succès : Ninja Gaiden c’est plus d’instinct et moins de réflexion. Le succès des jeux Blasphemous n’est plus à prouver. Le studio The Game Kitchen s’est rapidement imposé, en créant une nouvelle licence à la fois solide et maîtrisée dans son game design, suffisamment marquante pour espérer s’inscrire durablement dans les mémoires. Un studio qui a su dompter les codes du metroidvania et imposer un riche et saisissant univers, ainsi qu’un gameplay brutal, largement inspiré de la série Dark Souls. Cependant, s’attaquer à une licence comme Ninja Gaiden n’est pas une mince affaire.
Premièrement, il faut composer avec l’histoire de la franchise, respecter son identité aussi, ce qui implique son lot de contraintes. D’après les affirmation du réalisateur du jeu, David Jaumandreu, en interview chez nos confrères de Gamekult, le studio disposait d’une large liberté créative. Quant à Team Ninja, forcément proche du projet, ils n’ont opéré qu’en tant que superviseurs sans interférer dans le processus créatif. À noter que le développement de Ninja Gaiden: Ragebound s’est fait en parallèle de celui de Blasphemous 2 et de son DLC. Des membres de l’équipe ont transité d’un projet à l’autre, le studio s’étant scindé en deux groupes afin de mener à bien les deux projets. Outre la patte graphique reconnaissable du studio, des idées de game design se font également écho entre les deux jeux.
Un travail conjoint qui a pu impacter le développement, ce qui expliquerait la faible durée de vie ainsi que certains écueils sur lesquels nous reviendrons plus loin. Attention, la durée de vie se situe dans la moyenne du genre et n’est préjudiciable que si vous ne comptez pas vous perfectionner afin d’améliorer votre score de niveau (implique la collecte d’objets, la rapidité, la complétion des impitoyables défis). Vouloir terminer Ninja Gaiden : Ragebound en ligne droite ne vous prendra qu’une poignée d’heures en fonction de votre skill. Le challenge est là. Rien d’insurmontable ou de frustrant cela dit, mais il faut parfois s’accrocher un peu. Le soft ne vous satisfera pas totalement sans un minimum d’investissement, car le cœur de l’expérience se situe dans la rejouabilité et la répétition.
The Tamashi Kunai
Comme ses prédécesseurs, et cela vaut également pour les itérations 3D, la licence se base sur un apprentissage des patterns ennemis et du level design, couplé à une maîtrise totale des techniques et mouvements du/des personnage(s). Il faut répéter les niveaux pour développer sa mémoire mentale et musculaire. Cela amène l’état de flow, avec toute la magie qui en découle. Maîtriser un minimum les fondements du gameplay de Ninja Gaiden : Ragebound c’est découvrir une profondeur limitée, certes, mais dont la courbe d’apprentissage n’est pas négligeable. L’action se planifie une seconde ou bien grâce à la répétition des situations. Contrairement à Blasphemous où il valait mieux calculer ses offensives, les ninjas virevoltent et tranchent à la vitesse de l’éclair. L’instinct et les réflexes priment ici.
Pourtant il y a bien du calcul. Plus qu’attendu. Cela découle d’une mécanique importante de cet opus mais qui apparaît bien trop grossière dans son implémentation : L’Hypercharge. Lorsqu’un ennemi est entouré d’une aura bleue, il faut l’éliminer au katana tandis que les projectiles seront nécessaires pour venir à bout des ennemis aux auras roses. Ces auras débloquent une attaque dévastatrice capable de pulvériser tout ennemi d’un seul coup. Une mécanique cruciale pour un ninja digne et que l’on priorisera pour éliminer les cibles les plus résistantes et gênantes. Si l’on peut s’en passer et venir à bout de ces derniers, on augmente considérablement les risques d’être touché, on casse le rythme et, surtout, on perd ce flow si addictif. Flow qui exprime la réussite de ce gameplay.
L’Hypercharge est discutable. En revanche, le plaisir provoqué lors de sa réalisation est manifeste. Apprendre les timings et les trajectoires optimales pour garder le flow et la fluidité de l’action est grisant. Mais l’implémentation est trop artificielle – ce qui n’est pas le cas des autres aspects du jeu, plus organiques –, et tend à conditionner notre manière de jouer. On perd en liberté créative. Les niveaux sont des partitions et c’est à nous de jouer les bonnes notes sous peine de casser l’élan. Parce que c’est finement mené. Un espace clairement dévoué au speedrun avec un level design précis et efficace. À l’instar de Strider (2014), influence majeure durant le développement aux côtés de The Messenger, Celeste et Katana Zero, Ninja Gaiden : Ragebound se veut incisif.
Les premiers opus se voulaient expéditifs dans leur approche de l’action, mais cette modernisation frappe fort. Il y a comme une synthèse satisfaisante qui s’opère : celle des deux versants de la licence — les Ninja Gaiden 2D et ceux en 3D. On retrouve un juste milieu entre les deux héritages. En parlant d’équilibre, les deux protagonistes sont parfaitement imbriqués. L’absence de Ryu est vite digérée, d’autant qu’il fait une brève apparition. La narration, plus directe que celle d’un Blasphemous, offre des moments d’accalmie bienvenus et sert la caractérisation de nos deux personnages. Le character design fonctionne, tout comme le gameplay. La mise en situation des deux — l’un axé corps-à-corps, l’autre, centrée sur les projectiles — fonctionne parfaitement. Une réelle synergie s’en dégage, tout en étant justifiée par le scénario.
Le Bal des Ninjas
Pour autant, comme dans les travaux précédents du studio, le level design ne brille pas de créativité, écueil auquel n’échappe pas Ninja Gaiden : Ragebound. Non pas que ce soit décevant, au contraire. Les niveaux, tout comme la disposition des ennemis, sont soigneusement orchestrés comme nous le disions. Après plusieurs heures, il est aisé d’enchaîner des mouvements spectaculaires, des esquives millimétrées et des exécutions dignes des ninjas les plus redoutables. L’influence de Ryu Hayabusa plane sur Kenji et Kumori honore le clan de l’Araignée Noire. L’essence Ninja Gaiden émane du soft : Mission accomplie. En revanche, nous étions en droit d’espérer meilleur traitement des niveaux.
Malgré leur étendue limitée, en leur sein, des zones se répètent bêtement et les situations méritaient davantage de variation. Il semble pourtant rester de la place pour mettre le gameplay à rude épreuve, et donc les joueurs et joueuses, en jouant sur le corps-à-corps de Kenji, les projectiles de Kumori et la plateforme. Un soft comme The Messenger parvenait à aller bien plus loin dans ses séquences de jeu, par exemple. Le gameplay est si bon, les feedbacks visuels comme sonores sont pour beaucoup dans ce ressenti, que l’on souhaitait plus de folie, plus d’inventivité pour ce Ninja Gaiden. Malgré cet écueil, The Game Kitchen a été recruté pour des compétences précises, et le studio a su les mettre pleinement au service de la licence. La franchise n’est clairement pas morte.
On le savait déjà avec l’annonce de Ninja Gaiden 4, et le shadow drop de NG2 Black. Néanmoins, Ninja Gaiden : Ragebound prouve que les origines 2D ont encore leur mot à dire. À l’image de son rival et ici mentor, Strider (2014), ce nouvel épisode offre, plus ou moins, le gameplay qu’on rêvait d’expérimenter gamin sur NES. Par moments, les sensations évoquent même les réminiscences d’un Ninja Gaiden: Dragon Sword, l’épisode DS. Quand il s’agit de donner vie à un univers, The Game Kitchen ne se fait pas prier. Dans ses itérations 2D, la série n’a jamais été aussi somptueuse.
On reconnaît bien là la patte du studio espagnol qui sublime maintenant l’univers de la licence. Musicalement aussi. L’OST est tout bonnement excellente, les musiques marient à merveille les instruments anciens et modernes afin d’harmoniser les environnements traversés. Les sonorités sonnent le bon néo retro, l’alliance des compositeurs japonais Ryuichi Niita, Kaori Nakabai et Keiji Yamagishi (ces deux derniers ayant travaillé sur NG II et III sur NES) avec Sergio de Prado, à l’œuvre sur Blasphemous, est à la hauteur du reste du jeu et rend justice à la franchise. Un régal auditif. À ce sujet, il faut savoir que le game design s’est construit, globalement, à partir du scénario, pensé en amont. Du récit émergèrent les lieux, les personnages, l’ambiance esthétique et musicale, etc.
Araignée Dragon
Le choix de s’affranchir de Ryu Hayabusa résulte également de cette orientation narrative — et du public visé. Comme c’est souvent le cas dans ce type de projet (Shinobi: Art of Vengeance de SEGA sera aussi concerné), il s’agit de trouver le juste équilibre entre les fans historiques et les nouveaux venus. Avec Ninja Gaiden : Ragebound il faut séduire à la fois les vétérans de l’ère 2D et la génération 3D, avec l’image idéalisée et/ou nostalgique que chacun se fait de la licence et de son héros. Introduire de nouveaux personnages est une réponse à cette problématique. Pour autant, ce n’est pas gratuit puisque justifié scénaristiquement et via le gameplay.
Les développeurs précisent aussi l’importance du vécu de Ryu et de sa maîtrise du combat. Selon eux, la logique voulait que les joueurs et joueuses débutent dans la peau d’un ninja moins expérimenté. C’est l’aventure qui va le construire, et nos réflexes avec. À l’instar de Kenji, cette quête fera de nous un véritable ninja, digne du clan Hayabusa ou de l’Araignée Noire — deux fins différentes existent. L’instinct aiguisé, la maîtrise atteinte, on pourfend avec une aisance et une classe nouvelles. On découvre la minutie du gameplay. Les touches répondent parfaitement, les mouvements sont précis et la frustration d’une mort soudaine ne dépend finalement que de nos propres échecs.
Ninja Gaiden : Ragebound devient un combat contre son propre égo. Et si le challenge peut paraître léger en comparaison de la réputation de la série, le mode difficile saura répondre aux attentes. Le placement des ennemis change, des obstacles inédits apparaissent et il faut imaginer d’autres notes dans cette nouvelle partition familière, mais plus complexe. Si les boss ponctuaient déjà parfaitement l’aventure, le mode difficile accentue l’effet. Un mode loin d’être artificiel et qui fait sens. Par contre, les objets d’équipement à débloquer auprès du marchand Muramasa ne seront d’aucune aide.
En effet, la plupart sont inutiles et on privilégiera le même set encore et toujours. Certains items manquent carrément de pertinence, quand d’autres ne sont simplement pas viables sur la durée, dommage. Enfin, n’attendez aucun changement d’armes ou d’évolution significative du gameplay, le game design n’est pas bâtit pour. L’objectif reste d’évoluer avec un arsenal et des mouvements limités, symbole de ninjas encore trop jeunes pour maîtriser complètement leur ninjutsu.
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