C’est un revival auquel on ne pensait pas assister en 2025. Dans l’esprit collectif, le format épisodique était mort dans cette industrie, la faute à un Telltale qui n’est plus que l’ombre de lui-même et à des studios qui ne saisissent pas les réelles difficultés que le public peut rencontrer avec ce mode de sortie. Alors voir Dispatch arriver dans ce contexte et affoler les compteurs était inattendu. Surtout en s’attaquant à un genre super-héroïque lui aussi en déclin. Le premier jeu de ce studio composé d’ex-membres de Telltale a pourtant su trouver la clé pour revitaliser le genre du jeu narratif, avec un titre qui est à la fois le digne héritier de The Wolf Among Us et Tales of the Borderlands, tout en se forgeant sa propre identité.
Conditions de test : Nous avons joué à Dispatch sur PC via Steam durant environ 10 heures, le temps de terminer l’aventure et de relancer quelques épisodes pour effectuer d’autres choix afin d’explorer plusieurs routes possibles. Vous ne lirez aucun spoiler dans ce test.
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Robert Robertson n’a vraiment pas de chance. D’abord, il se traîne un nom sujet à moquerie, ce qui n’aide pas dans la vie de tous les jours. Mais ce nom avait été rangé au placard depuis 15 ans, étant donné qu’il endossait l’alias de Méca-Man, super-héros munis d’une armure géante qui l’aide à endiguer le crime dans les rues de Los Angeles. Une sorte de Tony Stark fauché, qui ne doit son armure qu’à sa famille, étant donné que son père et son grand-père étaient eux aussi Méca-Man durant leur temps. Jusqu’à la mort du géniteur de Robert, sur lequel notre protagoniste enquête toujours, jusqu’à tomber dans un piège qui va le priver de son armure.
Sans super-pouvoir, c’est un citoyen lambda désabusé qui se présente à nous, avec un rythme de vie bien différent. Les escapades héroïques, c’est terminé, place à la vie de bureau au sein du SDN, une entreprise chargée de guider les super-héros à travers la ville pour répondre aux besoins des habitants, aussi bien pour un vol, une infraction, ou pour déloger un chat d’un arbre. Une vie bien morne pour notre ancien héros, qui doit en plus manager une équipe de bras cassées répondant au nom de Team Z, remplie de super-vilains sur le chemin de la rédemption. Autant dire des individus qui ont quelques problèmes avec l’autorité, et qui ne se laisseront pas dicter la marche à suivre par un col blanc.
Un héros au bureau
Voilà dans quoi nous embarque Dispatch. Le jeu d’AdHoc Studio amène le genre des super-héros dans un style tourné vers la comédie avant l’action, où la salle de pause avec la machine à café est l’endroit le plus palpitant que Robert verra au cours de sa journée. De quoi donner lieu à des interactions absurdes, avec des répliques qui fusent dans tous les sens, tout en respectant le bon dosage entre humour et drame. Ce qu’il doit à un sens de la répartie incroyable, avec un rythme de dialogue parfaitement calibré, et une écriture particulièrement soignée, rendant chaque dialogue très réaliste malgré le contexte super-héroïque qui englobe le tout. Et d’ailleurs, grand bravo à la traduction française pour avoir adapter cela comme il se doit.
Une expérience plus terre-à-terre qui permet de rendre chaque personnage immédiatement attachant, même si certains d’eux auraient gagné à avoir plus de temps d’antenne tant ils crèvent l’écran. Comment en pas tomber sous le charme de Sonar, mi-homme mi-chauve-souris adorable malgré son penchant pour la cocaïne ; ou Phénoméman, Superman/Thor dépressif en décalage complet avec ses collègues humains ; sans oublier Court-Pif et sa manie de taper dans n’importe quelle bourse qui croise son chemin. Car oui, Dispatch fait souvent en dessous de la ceinture, en n’hésitant jamais à être parfaitement grossier, sans pour autant être lourd comme un Borderlands.
Le jeu sait aussi se montrer touchant. L’un des cliffhangers de la saison a eu de quoi saisir notre petit cœur, tandis que les deux romances optionnelles proposées ici sont toutes aussi juste l’une que l’autre. Derrière son enrobage à la Marvel/Invincible/The Boys, Dispatch raconte avant l’histoire de personnes brisées, en quête d’identité. Si la plupart de nos choix n’ont pas d’impact, beaucoup d’entre eux tournent autour de ce déterminisme et trouvent du sens dans la conclusion du titre, qui met particulièrement en avant cette notion de rédemption. Une conclusion qui se veut d’ailleurs être particulièrement épique malgré les enjeux humains derrière, avec une baston finale qui a de quoi faire rougir beaucoup de productions Marvel. Avec certes pas mal de QTE dispensables, mais le jeu a la politesse de vous laisser les désactiver.
Le gratin du doublage
En raison d’une durée de vie resserrée, Dispatch mise malgré tout sur l’histoire de Robert et de deux ou trois autres personnages clés, laissant ainsi de côté certaines dynamiques au sein de la Team Z. Dommage, car tous ces anciens super-vilains crèvent l’écran à chaque apparition, ce que l’on doit à un excellent chara-design et à un casting vocal qui a de quoi faire pâlir les plus grands AAA de l’industrie.
Aaron Paul, Jeffrey Wright, Laura Bailey, Erin Yvette, Travis Willighman… C’est un vrai casting 5 étoiles que AdHoc est allé réunir ici. Mention spéciale à Aaron Paul, assez méconnaissable ici (et dont le travail fait écho à sa participation dans la série BoJack Horseman), et à Laura Bailey qui montre encore une fois tout son talent après avoir remporté plusieurs récompenses pour son rôle d’Abby dans The Last of Us Part II. Sans oublier Matthew Mercer, qui incarne un vilain avec beaucoup de présence.
Tout ce beau monde est impeccable et sert à merveille chaque personnage. Même les personnalités venues du monde de YouTube sont remarquables ici. Avec Jacksepticeye et MoistCr1TiKaL, on aurait pu croire que le studio soit tombé dans le « star talent » bas du front, avec tout le respect que l’on peut avoir pour ces personnes. Ces dernières nous donnent de façon rapidement tort et ne font pas tâche aux côtés d’acteurs et d’actrices de doublage avec nettement plus de bouteilles qu’eux.
Aux limites du concept

Cette myriade de stars est sans doute l’une des forces de Dispatch, mais aussi ce qui le bloque pour véritablement remplir son contrat de jeu narratif à choix multiples. Lorsque l’on reproche à certains personnages de ne pas être approfondis, ou lorsque l’on évoque le manque d’impact de certains de nos choix, on ne peut pas s’empêcher de penser que cela est aussi un problème de moyens humains.
Jeffrey Wright est un acteur occupé, qui ne peut probablement pas enregistrer 18 variations d’un scénario, au même titre que tous les membres de Critical Role, qui ont 14 autres projets sur le bras. Aaron Paul ne doit pas être non plus l’acteur le moins cher du lot, rendant ainsi chaque ligne de dialogue assez précieuse. Même si AdHoc Studio est composé de vétéran du genre, Dispatch reste son premier jeu, avec un budget loin d’être illimité. On lui pardonnera donc de nous laisser l’illusion de nos choix à condition que l’on ne soit pas trop curieux en retentant plusieurs sauvegardes, au risque de passer derrière le rideau et briser la magie.
On pourrait croire que cette contrainte économique se ressent ailleurs, notamment dans le manque d’interactivité global du jeu, qui ne vous laisse jamais contrôler un personnage dans l’environnement. Mais ce qui semble être ici une économie de moyens est finalement délibéré par AdHoc, qui peut ainsi mieux gérer le rythme de sa narration. Plutôt que celui-ci soit ralentit par la navigation de votre personnage, il est ici mieux maitrisé en vous faisant passer d’une séquence à l’autre pour aboutir à une expérience plus digeste. Cela joue naturellement sur la durée de vie des épisodes, plus courts (parfois trop) que ceux d’un jeu Telltale, mais c’est un choix qui se respecte, d’autant plus qu’il fonctionne.
J’ai une Intelligence de 6, je sais ce que je fais

AdHoc a, de toute façon, trouver un autre moyen de gagner en interactivité, en vous laissant faire le boulot de Robert. Vous allez véritablement devoir jouer le rôle d’agent en « dispatchant » votre équipe au sein du quartier de Torrance afin qu’ils puissent sauver la veuve et l’orphelin, sans causer trop de dégâts au passage.
Durant ces séquences, Dispatch prend alors la forme d’un jeu de gestion où vous devrez placer les bons éléments sur les bonnes missions, en faisant attention aux compétences de chacun. Chaque héros dispose de forces et faiblesses essentielles à bien prendre en compte lors des missions, sachant qu’il faudra deviner vous-mêmes de quelles compétences vous aurez besoin en vous fiant uniquement à la description de l’intervention à effectuer. N’allez donc pas envoyer un Golem, particulièrement robuste, mais terriblement bête, dans une mission qui requiert de la jugeote.
Chaque mission réussie vous fera gagner de l’expérience pour les membres de la Team Z, vous permettant ainsi d’augmenter leurs caractéristiques comme bon vous semble. Le système s’améliore au fur et à mesure des chapitres, avec des héros qui pourront gagner des compétences spéciales ou même avec une synergie entre eux, si vous les envoyez ensemble en mission. Au début, le tout parait très simple, pour ne pas dire simpliste, jusqu’à ce que la notion d’urgence vienne s’en mêler, ou lorsque certaines missions deviennent plus cryptiques que d’autres, avec certains héros qu’il ne faut surtout pas envoyer sur le terrain sous peine d’échec immédiat.
AdHoc a aussi la bonne idée de ne pas limiter ces phases à du pur gameplay, qui offrirait une pause dans le récit. Durant cet exercice, l’histoire de Dispatch continue. C’est même ici que vous verrez (ou plutôt entendrez) le plus les membres de la Team Z interagir entre eux, notamment pour se moquer de Robert. Là encore, les dialogues ne manqueront pas de vous arracher quelques rires, d’autant plus que le jeu vous fera comprendre que vous n’avez pas un contrôle complet sur cette équipe, laissant parfois le script reprendre les rênes.
À cette partie gestion vient s’ajouter un mini-jeu de hacking, là encore avec une apparence des plus simplistes. Celui-ci a lieu lorsque Robert peut interagir directement avec certains systèmes électriques sur les lieux d’une mission, avec un puzzle à résoudre qui se limite souvent à entrer des directions dans le bon ordre pour avancer. Vers la fin de l’aventure, cela se complexifie un peu plus avec des virus qui viennent vous pourchasser façon Pac-Man, et des casse-têtes un peu plus élaborés. Ce n’est surement pas la meilleure partie de Dispatch, mais ces puzzles étant relativement courts, pas de quoi être particulièrement gênés par leur présence.
C’est mon choix
Le cœur du jeu reste tout de même ses multiples dialogues à choix, soit l’héritage Telltale. En plus d’être particulièrement bien écrits, ces choix ont aussi le mérite d’être clairs. Vous ne risquez pas de voir Robert répondre quelque chose à côté de la plaque en choisissant l’une des répliques proposées. Si seulement une poignée de vos décisions auront un impact (surtout dans les épisodes 1 à 6, en dehors de deux d’entre elles), Dispatch maintient l’illusion avec brio et vous laisse croire que tout est organique.
Alors, oui, malgré tout, on regrette qu’il n’y ait pas véritablement de segments exclusifs (on en compte deux ou trois maximum) liés à certaines décisions, mais on a tendance à vite pardonner Dispatch tant il maitrise ce qu’il nous raconte. Ne serait-ce que via sa bande-son et son ambiance très 90’s, sa réalisation très solide, avec un cel-shading qui évoque celui de Hi-Fi Rush et qui repousse encore un peu plus les limites de l’animation interactive. Oui, Dispatch aurait aussi bien fonctionné en n’étant « qu’une série » plutôt qu’un jeu, mais peu de jeux narratifs du genre peuvent s’en vanter.
La duologie du mercredi soir

Et comment parler de Dispatch sans évoquer son mode de publication ? Même si beaucoup d’entre vous auront choisi d’attendre la sortie de tous les épisodes pour vivre l’aventure à votre rythme, le format épisodique et la manière dont il a été amené sont indissociables de Dispatch si l’on veut comprendre son succès. Tout simplement parce que AdHoc a résolu l’équation. Celle qui posait problème à de nombreux studios, dont Telltale.
Ce dernier avait par exemple pour habitude de ne pas donner de calendrier clair sur le rythme de sorties des épisodes de ses jeux. AdHoc a été clair dès le départ. Et là où des studios nous demandent de patienter des semaines, voire des mois entre un épisode, AdHoc comprend que le rythme hebdomadaire est important si l’on veut singer le rythme de la télévision.
Alors il a pris le pari de sortir deux épisodes par semaine, pour terminer Dispatch en trois petites semaines seulement. Un résultat payant, dans la mesure où il a provoqué l’effet recherché par tous les studios qui s’aventurent dans ce format : entre chaque duo d’épisodes, les réseaux sociaux ont fait leur travail, le bouche-à-oreille a fonctionné, les théories autour des futurs épisodes se sont accumulés, et une vraie communauté s’est formée. Comme une bonne série TV. Ainsi, le pic de personnes actives sur le jeu n’a fait qu’augmenter de semaine en semaine. Une réussite totale, qui donne un nouvel exemple à suivre pour le format.
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