Il y a des jeux malheureusement trop peu mis en lumière, des jeux qui, pourtant, peuvent nous marquer et nous hanter des jours durant. Fading Afternoon, au même titre que les précédents softs du studio que sont The Friends of Ringo Ishikawa (2018) et Arrest of a stone Buddha (2020) fait partie de ces œuvres difficilement oubliables. Des propositions aussi hermétiques que passionnantes à vivre pour ceux qui auront la chance de se laisser embarquer.
Fading Afternoon peut se voir comme un croisement des deux jeux susmentionnés, reprenant les combats au corps-à-corps du premier et les armes à feu du second. Et après avoir abordé le furyô et les tueurs à gages, les studios YEO s’attaquent aux yakuzas. Malgré une ambition dépendante de contraintes financières et humaines, c’est une fois de plus un soft au game design intelligent qui nous est offert.
Condition de test : nous avons joué sur Nintendo Switch pendant une quinzaine d’heures afin d’expérimenter un minimum les possibilités offertes par le jeu, rejouer plusieurs runs et essayer le mode combat.
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ToggleSeiji et la Tortue
Fading Afternoon c’est un peu comme parcourir un film de Takeshi Kitano. Les marches solitaires d’un Violent Cop bercé par les sonorités jazzy qui parsèment aussi le soft de YEO, parmi d’autres partitions plus funky ou typées 80’s avec l’usage du synthé, la violence et les questionnement de la trilogie Outrage transparaissent ici. On retrouve une certaine légèreté, de la mélancolie aussi. Derrière ces mélodies se dessine un funeste destin, celui d’un homme, Seiji, yakuza vieillissant qui a rendez-vous avec la mort.
Personne ne sait quand la faucheuse apparaîtra, mais elle viendra. Une mort qui attend sagement celui que l’on surnomme Gozuki, le modèle de la nouvelle génération. Que vous choisissiez de mener à bien les affaires du clan en honorant les demandes de l’oyabun, que vous préfériez répondre aux sirènes de la dépression, ou bien que vous désiriez dilapider votre argent et votre temps dans le divertissement, dans la recherche de plaisirs à outrance… à la fin, Seiji devra honorer son dernier rendez-vous.
Comme il est de coutume dans les jeux du studio, et Fading Afternoon ne fait pas exception, une totale liberté est laissée aux joueurs et aux joueuses. Bien que nous contrôlions Seiji et que ce dernier dispose d’une personnalité et d’un passé, son destin est littéralement entre nos mains. Lorgnant du côté d’un Way of the Samurai ou d’un Shenmue, le soft propose un récit évolutif dépendant de vos décisions.
Les actes valant plus que les mots, ce sont avant tout vos actions qui détermineront le déroulement de l’intrigue. Scénario cryptique et accompagnement presque inexistant, malgré un bref tutoriel et de précieuses informations affichées concernant les diverses actions réalisables, Fading Afternoon ne vous prendra pas par la main. Pour s’en sortir, disons-le comme ça, il faut être curieux et attentif à l’environnement comme aux conversations.
Fight Lies Bleeding
Dans Fading Afternoon, vous façonnez votre histoire. Pour cela, il faut se promener pour découvrir les quartiers et enseignes accessibles en ville, dépenser son argent gagné à la sueur de son corps afin de découvrir les mini-jeux et activités mis à disposition et qui se débloqueront comme point d’intérêt sur la map au fil de l’aventure. Que ce soit aller au billard ou au casino, entre autres choses, Seiji a de quoi profiter de certains plaisirs de la vie.
Chaque visite d’un lieu, que l’on rejoint depuis la map du métro, utilise un tiers de la journée. Une fois le dernier tiers écoulé et la nuit tombée, vous devez rentrer dormir à l’hôtel. Et puis, c’est reparti pour une nouvelle journée. Seiji se lève les cheveux ébouriffés, puis se passe un coup de peigne avant de se raser dans la salle de bain. L’hôtel quitté, il faut maintenant scruter la carte dans le métro afin de planifier ses activités de manière la plus optimale possible.
Il ne faut pas chercher à comprendre les choses, mais plutôt se laisser porter au gré de ses actions et de leurs conséquences, des rencontres aussi qui, quelques fois, pourront vous éclairer sur le passé de Gozuki ou faire office de quête annexe. S’il fallait trouver un fil rouge auquel se raccrocher, aider l’oyabun à accroître son territoire et gagner les guerres de clans susceptibles d’éclater vous garantiront le sentiment de faire quelque chose.
Cela vous évitera d’avoir l’impression d’être perdu, de ne rien faire de productif dans l’aventure. Vous aurez un objectif à suivre qui donnera du sens à l’aventure, comme elle donnera du sens à la fin de vie de Seiji. Au risque de se répéter, Fading Afternoon c’est avant tout votre expérience. Ainsi, le jeu se structure en run plus ou moins longues, entre 4 et 6 heures en moyenne, dépendantes de vos actions, de votre manière de dépenser votre temps et votre argent.
Friends and Family
Il y a de quoi s’étendre tant l’expérience est riche, passionnante, avec plusieurs fins et ramifications qui vont demander un investissement personnel. Ne pas payer l’hôtel vous contraint à apprécier la joie des nuits à la belle étoile seul sur un banc. Alors qu’économiser permet de se payer un appartement et/ou une voiture au colori de son choix. Cette dernière remplacera le métro. Plusieurs aspects de la vie de Seiji influeront sur sa notoriété qu’il vaut mieux éviter de faire chuter à zéro, sous peine de devoir mettre fin à ses jours.
L’honneur est primordial pour un yakuza, il en va de même pour le respect. C’est pourquoi vous pouvez réprimander d’une violente gifle tout subalterne qui oublierait de s’incliner par politesse devant vous. Enfilez vos lunettes de soleil et déambuler avec classe la veste sur l’épaule, etc., de petits détails que le jeu propose et qui magnifient l’expérience. Leur futilité apparente est pourtant importante pour l’immersion recherchée dans Fading Afternoon.
Tout cela fonctionne parce que, bien que cryptique, la narration n’en demeure pas moins efficace. Déjà, parce que l’écriture convainc et que tout le soin apporté à l’esthétique du titre rend l’univers autant crédible que vivant. Mais aussi avec l’omniprésence de justifications narratives dans le game design. Quand Seiji se remémore un passé révolu, par exemple. Epoque où sa santé était de fer et durant laquelle il était un combattant hors pair.
Aujourd’hui, Gozuki n’a plus la forme et il ne regagnera jamais l’intégralité de ses points de vie quoi que vous fassiez. Il n’y a plus que dans ses rêveries nostalgiques qu’il encaisse fièrement les coups. Dans le présent de Fading Afternoon, vous irez au tapis plus vite que vous pouvez le penser en cas d’inattention. Fort heureusement, Seiji n’a pas perdu de sa combativité ni de sa maîtrise des arts martiaux. Ses connaissances en karaté, en judo et en aïkido suffiront à venir à bout des ennemis croisés.
Like a Yakuza
La panoplie de coups fait le job, malgré des limitations évidentes qui confèrent une répétitivité que l’on n’attendait peut-être pas si vite. Cela dit, la liberté offerte par le soft permet de souffler et de changer d’air si le goût du sang devient trop lassant. Une légère latence dans les inputs pourra d’ailleurs entacher un peu l’action, précisément lors des esquives, mais rien de trop préjudiciable. Surtout que la vieillesse de notre yakuza peut finalement le justifier. A l’interprétation de chacun.
La finesse et la beauté des animations, très lisibles, de même que les feedbacks, en particulier sonores, ajoutent un petit plus fort appréciable. Les affrontements ont le mérite d’être plaisants manette en mains, les coups secs distribués par Seiji font une fois de plus penser à la vision des combats de rue prônée par Kitano dans son cinéma. L’OST termine de poser cette ambiance si singulière. Une sonatine à la mélodie mortelle participant au charme indéniable de l’œuvre réalisée par les équipes de YEO.
On regrettera l’absence de musiques plus punchy et appropriées lors des affrontements. Ca manque de rupture de ton significatif musicalement. Parmi les autres ombres au tableau, citons la disposition des touches loin d’être optimale et aussi pertinente que le game design du jeu. L’absence d’indication pour le joueur ou la joueuse a aussi ses limites. Même si cela participe à l’expérience, quelques ajustements d’ordre pratique n’étaient pas de trop.
De simples options dans les paramètres suffisaient pour adoucir un poil la proposition, la rendre plus accueillante. Les courtes runs aident à relativiser et puis le format « à la carte » de l’aventure se marie plutôt bien avec de courtes sessions de jeu, voire même des sessions suffisamment espacées dans le temps pour redécouvrir Fading Afternoon différemment, avec peut-être une autre humeur, et vous découvrirez sans doute encore de nouvelles choses lors de vos pérégrinations sous le soleil, la pluie ou la neige.
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